A propos des temps d’aujourd’hui

Comme dans une toile d’araignée

Il y a comme un air d’inéluctable avec le sentiment que nous ne maîtrisons plus rien. Une marche forcée à laquelle personne ou si peu semble échapper. Peut-être quelques-uns quand même ? Ainsi, ce vieux paysan rencontré cet été lors de la fête des cinquante ans de mariage d’anciens paroissiens. Il sortait d’un autre monde, avec ses silences et son regard pleins de vie. De temps en temps, une parole vraie qu’on écoute avec vénération car elle sort des profondeurs de son silence quotidien et de sa vie à l’écoute du réel. Il en est ainsi des religieuses chez qui je suis allé quelques jours pour faire une pause avec la prière et la lecture. Elles aussi semblent si attentives dans leur regard et ne parlent pas pour ne rien dire et pour seulement communiquer des informations !

Que se passe-t-il donc aujourd’hui pour que nous ayons perdu cette profondeur et capacité d’écoute ? Nous n’écoutons plus dans le silence car nous sommes maladivement à l’affût d’un nouveau message ou sms ou d’une nouvelle information. Connectés tout le temps, nous ne sommes plus nous-mêmes, nous ne sommes plus libres. Nous sommes esclaves, avec des moments de lucidité. Comme la mouche prise dans la toile d’araignée, nous voulons sortir de notre addiction, mais nous ne le pouvons plus. « Qui, me disait ce paysan, veut vivre ma vie au rythme du soleil, des saisons et des légumes du jardin ? » Force est de convenir, personne ou presque.

Une fausse promesse

Depuis le Siècle des Lumières, on nous promet un nouvel avenir pour l’homme avec les progrès de la science, le calcul pour tout comprendre et tout maîtriser. Cette sagesse est devenue folie, course folle que plus personne ne maîtrise. Les progrès ne sont plus des progrès. C’est comme une puissance maléfique qui fait de nous des robots contrôlés ou des zombies sans âmes. Puissance maléfique car elle est celle de l’argent pour quelques milliardaires de plus au détriment de tous. « Liberté, Égalité, Fraternité ». Que sont devenues ces valeurs ici et dans le monde, portées par des révolutionnaires et des penseurs qui croyaient avoir trouvé la clef du bonheur pour l’humanité ? Que de déplacés, d’injustice, de guerres d’intérêt, au siècle précédent et aujourd’hui sur notre planète folle de surconsommation et d’appétits financiers ! Que d’individualismes, de peurs et de violences, dans nos comportements citoyens et chez nos principaux gouvernants dans le monde ! Pourquoi ? Nul doute que beaucoup, au bord de l’abîme, sont conscients et, pris de panique, nous sommes habités d’un « sauve qui peut » mortel. Une conversion personnelle et de tous unis dans le souci du bien commun parait impossible.

La déesse raison célébrée dans nos églises en 1789 est bien morte et depuis longtemps, en particulier à Auschwitz ! La sagesse des hommes ne se révèle-t-elle pas folie quand elle oublie la Sagesse du Créateur, quand elle fait de la raison un dieu ? Cette folie touche nos vies intimes et avec la promesse d’un bonheur immédiat ; le progrès, tel un torrent devenu furieux et incontrôlable, emporte toutes nos libertés. Le comble, mauvais tour du démon, est que nous nous croyons libres !

Qui nous fera voir le bonheur ?

Qui peut alors s’opposer aujourd’hui à l’idole du « tout est possible », qui nous permet par exemple d’avoir des enfants dans tous les cas de figure ou bientôt de les vouloir selon nos projections : un grand sportif, un grand intellectuel… ? Personne, puisque cette puissance technologique qui nous subjugue, nous donne un bonheur maintenant et tout de suite. Comme au moment du « mariage pour tous », un questionnement est tout simplement irrecevable car taxé d’opposition au bonheur pour tous. Je ne sais pas s’il faut manifester contre cette nouvelle illusion de bonheur avec la P.M.A. pour tous ? Je ne sais plus. En tous les cas, pas sans s’interroger sur où nous en sommes personnellement ? Quelle est notre capacité au silence, au retrait, à l’écoute ? Sommes-nous habités par la paix quelle que soit la violence d’un débat ou d’une manifestation ? Quelle est la part en nous de gratuité, de l’accueil de l’imprévu, de la disponibilité à l’autre ? Quelle sobriété dans la consommation, les voyages, les loisirs ? Ce n’est que par notre rupture avec ce qui paraît inéluctable que nous changerons le monde en changeant les autres à côté de nous. Ce paysan ou ces religieuses nous disent : « Un autre monde est possible ; il peut exister maintenant en chacun de nous ». Notre temps est apocalyptique : dans sa révélation du mal, mais aussi dans le rappel que chaque personne est unique et que le salut passe par chacun. En famille, en société, dans l’Église, où est notre priorité : dans la réussite personnelle, l’efficacité et la course, la quête des nouveaux outils, ou dans la personne du Christ et l’attention aux personnes, avec patience et écoute sur leur chemin, sans vouloir les mettre sur le nôtre ?

 

Baudoin, prêtre