Adolphe Disderi, inventeur de la photo « carte de visite »
Donnons-lui la parole :
« Je suis sûr que, parmi les lecteurs des Echos de Meulan, bien peu me connaissent, comme du reste, les dictionnaires ! Mais heureusement, ce ne fut pas le cas pour mes contemporains ; j’ai connu la gloire et la fortune grâce à mon invention photographique qui me permettait de reproduire six portraits sur une même plaque, technique à laquelle j’avais joint l’emploi du collodion humide et du papier ciré. Je pouvais ainsi réduire le prix de revient et c’est là la base de ma réussite.
Mais revenons à mon parcours : je suis né à Paris le 28 mars 1819 et je fus d’abord commis-voyageur d’une affaire familiale de lingerie- bonneterie. J’ai épousé Geneviève Elisabeth Francart qui me donnera deux enfants et lorsque nous nous séparerons, elle poursuivra l’activité photographique dans diverses applications dont le diorama.
L’entreprise de bonneterie ayant fait faillite, nous optons pour la Bretagne, plus exactement Brest (1846) puis ce sera Nîmes. Je n’ai que vingt-sept ans et vais pouvoir réaliser mon rêve : mettre au point la technique photographique qui fera mon succès !
En 1854, je retourne à Paris, dépose un brevet de « portrait carte-postale » et j’ouvre un vaste studio au 8 boulevard des Italiens, un des plus importants de mon temps, où viendront se faire tirer le portrait bien des célébrités de l’époque dont l’empereur Napoléon III avant sa campagne d’Italie. Je deviens le photographe officiel de la cours impériale comme des Rothschild, Metternich et toute la haute et le gratin de France et même d’au-delà des frontières car un portrait de Disderi, c’est un statut social assuré. De plus, je suis bien moins cher qu’un daguerréotype. Photographe officiel de l’exposition universelle à Amsterdam en 1855, je présente des personnages grandeur nature. Si je suis bon photographe, je suis mauvais gestionnaire et me retrouve en faillite l’année suivante. Et comme on ne badine pas avec ceux qui n’ont pas mis leurs moyens en accord avec leurs ambitions, je me retrouve en prison et ne réapparais qu’en 1859, mais avec un nouvel appareil capable de faire huit clichés sur la même plaque. En 1862, je publie « l’Art de la photo ». J’ai ouvert bien des succursales comme à Londres où j’ai reçu la médaille d’or, Madrid, etc. Ma plus grande fierté est mon magasin atelier du boulevard des Italiens qu’on appelle « le Louvre du portrait-carte ». J’y accueille mes clients qui posent debout ou assis, dans un cadre stéréotypé composé de colonne, guéridon, balustre, plante verte et lourd rideau de velours, qu’il s’agisse de leurs majestés l’empereur et l’impératrice ou tout autre personnalité ou anonyme. En 1863, je dépose un brevet de « carte-mosaïque ».
Mais l’histoire se bouscule : après la défaite de Sedan, l’Empire fait place à la IIIème République dont Adolphe Thiers est le premier président ; il réprime dans le sang le mouvement révolutionnaire de la Commune de Paris et, je n’ai pas honte de le dire, les cadavres deviennent mes nouveaux modèles !
Le climat politique ne favorise pas mon commerce, c’est le déclin des recettes alors que je garde des goûts somptuaires. »
Alors qu’il a employé jusqu’à cent personnes, fait construire une maison à Rueil-Malmaison, côtoyé les plus riches, Disderi mourra complètement ruiné le 14 octobre 1889 à Paris. Il laissait pourtant un trésor : quatre-vingt onze albums, douze mille planches et cinquante mille références.
Tout cela fut récupéré par le fils d’un préfet de l’Empire, Maurice Levert, dont l’héritier vendra le fond à Drouot en 1995 : une partie fut acquise par la Bibliothèque Nationale, les autres par les musées de l’Armée et d’Orsay. Il a souffert de la comparaison avec Félix Tornichon dit Nadar, lui aussi portraitiste, plus artiste et moins commerçant.