Amis lecteurs
Est-ce possible ? Les révélations concernant l’abbé Pierre sont terribles et scandaleuses. Je me risque à deux réflexions.
Une idole s’effondre sous nos yeux. Pourquoi avons-nous besoin d’idoles ? Pourquoi faisons-nous de certains d’entre nous des hommes au-dessus des autres ? Il paraît que quand l’abbé Pierre passait, certains embrassaient sa soutane et d’autres tombaient dans une espèce d’hystérie. Voilà une question pour moi et pour chacun d’entre nous. Sur le plan politique, sur le plan religieux, sur le plan artistique, pourquoi cherchons-nous à adorer des personnes ? Pourquoi, à chaque élection, faisons-nous de tel homme ou femme politique un sauveur ? Il y a eu dans l’histoire tant de séducteurs qui sont devenus les pires dictateurs. Et dans l’Eglise, il est tellement facile de séduire, par son discours, par un charisme, par l’habit, par la conviction qu’on est élu pour guider les autres… Et, avouons-le, nous aimons séduire et nous aimons être séduits.
Pourtant, l’Évangile nous met sans cesse en garde contre la séduction du démon qui est en nous. Alors, faut-il reconnaître que notre péché est grand, car nous lisons et nous écoutons l’Évangile sans y faire attention, sans nous convertir ? Jésus se révèle comme l’anti-séducteur. Séduire, c’est conduire à soi, selon la racine latine. Il lui faut du courage pour fuir la foule après le signe du pain partagé qui la nourrit. Jésus est venu pour conduire au Père, le seul digne d’adoration, le seul Maître qui respecte notre liberté, le seul Père qui nous aime sans nous posséder. « Ne vous faites pas appeler Maître ou Père, car vous n’avez qu’un seul Maître et Père, notre Dieu du ciel ». Nul doute que nous avons besoin d’adorer des êtres humains parce que nous avons oublié Notre Père du ciel…
Nous découvrons que beaucoup savaient… et ce depuis près de soixante-dix ans. Sa propre mère en a parlé. Pourquoi a-t-il été ordonné prêtre ? En 1956, le cardinal Feltin, archevêque de Paris, a fait pression sur le gouvernement français de l’époque pour empêcher la remise de la légion d’honneur à l’abbé Pierre ! Fallait-il que les faits soient déjà accablants et prouvés pour oser une telle intervention ? Que de victimes, peut être des centaines depuis soixante-dix ans, à cause du silence de l’entourage, pas seulement de quelques-uns de la hiérarchie, mais des laïcs, hommes et femmes, croyants ou pas, qui gravitaient autour de l’œuvre. Encore un fait dans les années cinquante : au cours d’un voyage au Canada, Jacques Maritain, participant au périple, rentre chez lui à mi-chemin à cause des comportements de l’abbé. Comment un tel silence est-il possible ? Comment comprendre une telle indifférence aux victimes ? Nous ne le savons que trop chacun de nous : il faut du courage pour parler et affronter un groupe, une institution, une société d’hommes… Que de lanceurs d’alerte dans le monde, courageux, solitaires et persécutés !
Il ne faut ni rêver, ni être naïf. Il y aura toujours des pervers malades dans notre société, dans l’Eglise et dans nos familles comme le montre le procès actuel à Mazan de Dominique Pelicot, époux et père de trois enfants. Il y aura toujours des complices parmi nous qui ferment les yeux, les oreilles, la bouche, pour ne pas être trop dérangés dans leur cocon. Nous sommes tous fragiles et pécheurs. On peut se réjouir depuis trois ans de l’effort de clarté dans l’Eglise avec la C.I.A.S.E. (1) et dans la société avec des mouvements comme MeToo. Espérons que ces mouvements pousseront plus de personnes à se remettre en cause, soit en se soignant, soit en dénonçant des actes criminels même si c’est au prix d’une grande solitude et même d’une persécution de la part de notre entourage.
Frère Baudoin, prêtre.
- : Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise