Briser les murs

Des murs se dressent entre les hommes depuis tant d’années. Des briques abîmées par l’amertume, des briques aiguisées par l’incompréhension, d’autres écornées par l’indifférence, d’autres encore meurtries par la vie, des briques qui s’amoncellent pour former des barrières, pour hisser entre les hommes des séparations.

Depuis cette question de Caïn « suis-je le gardien de mon frère ? » et tout au long de l’histoire de l’humanité, des murs, physiques ou non, se sont ainsi dressés pour « sécuriser », pour séparer les hommes et les femmes, les un(e)s des autres. Il y eut, également, des murs « historiques », des « instants » de l’histoire qui marquèrent une rupture, une blessure entre les hommes. Ainsi, en fut-il, au 16ème siècle, durant les réformes protestantes, conséquences de multiples facteurs qui aboutissent à la rupture. Notre actualité nous rappelle combien nous avons besoin du travail de mémoire, un travail critique et circonstancié. Un travail nécessaire car l’Eglise a un rôle à jouer, envers et contre tout, au milieu de notre humanité, un rôle en conscience de son histoire !

Nous allons commémorer, cette année 2017, un événement marquant de l’histoire. En effet, en octobre 1517, un jeune moine augustinien, tourmenté par sa destinée éternelle, fit une découverte saisissante en méditant La Bible. Une découverte qui bouleversa non seulement sa vie personnelle, spirituelle, bien plus changea le visage de l’Europe. Ce jeune moine, Martin Luther, découvrit à l’étude de l’épître de Paul aux Romains que ce Dieu juste, dont il craignait la sentence, est aussi celui qui, par amour pour les hommes, a pris sur Lui le poids de la condamnation. Une condamnation dont le moine allemand ressentait si fortement la lourdeur. Finalement, ce Juge divin, devant lequel il devrait se présenter après son trépas, n’est autre que celui qui est descendu de son siège de magistrat après avoir prononcé la sentence ; un Magistrat qui se dépouilla lui-même de son apparat judiciaire pour prendre sur lui le poids de la condamnation. Martin Luther découvrit ni plus ni moins le message de l’Evangile de Jésus-Christ, Dieu fait homme venu dans le monde prendre sur lui le poids de nos fautes.

Dès lors, Martin Luther, désirant rendre publiques ses découvertes, va exprimer des « réserves », soumettre à débat des points qu’il considère être des égarements de l’Église de son époque. Il va ainsi publier ses « 95 thèses », résumé d’affirmations théologiques et polémiques en octobre 1517. 2017 sera l’année du 500eme anniversaire de cet événement qui fut marquant pour les réformes protestantes, mais qui a marqué plus largement la vie de l’Église d’Occident pendant plusieurs siècles.

Cette année 2017 verra un double retour aux sources dans le cadre de la « semaine pour l’unité des chrétiens ». Le premier, et non des moindres, c’est de confier aux Eglises allemandes le soin de préparer le contenu de cette semaine particulière. Ils ont choisi, comme illustration de départ à la construction de leur réflexion, un autre épisode historique allemand marquant bien que plus récent : la chute du Mur de Berlin. Les Eglises allemandes nous rappellent ainsi que la chute du Mur de Berlin débuta par un Mouvement de prière pour la paix en République démocratique allemande. Les personnes s’étaient mises à placer des bougies à leurs fenêtres, à leurs portes, et à prier pour la liberté. Ils ont choisi l’illustration du mur, sa construction et son démantèlement pour représenter la division des chrétiens et la réconciliation à laquelle le Christ nous appelle.

Nous arrivons au deuxième mouvement, au deuxième retour aux sources, non plus géographiques mais spirituelles : les Eglises allemandes ont décidé de commémorer cet anniversaire de la Réforme, en célébrant le Christ. Un Christ qui nous exhorte à la réconciliation. Le thème est ainsi formulé : « Nous réconcilier. L’amour du Christ nous y presse » (à partir du texte de Paul aux Corinthiens). Il n’est pas question ici d’une bonne résolution de fin d’année, ou du fruit d’une obligation mais d’amour, de l’amour du Christ qui nous presse, nous entraîne dans un mouvement où « nous ne considérons plus personne d’une manière purement humaine » comme nous dit Paul. En nouveauté de vie, nous portons un regard différent sur notre prochain, sur notre frère, sur notre sœur. Pourquoi ? Parce que l’amour du Christ, reçu comme un cadeau, nous met en marche, nous fait virevolter, nous pousse à aimer en retour, le Christ, mais également notre prochain. N’entendons-nous pas cette parole si incisive de l’apôtre Jean « Si Dieu nous a tant aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres » (1 Jean 4.7), et plus loin, « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur, car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas […] Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jean 4.20-21). C’est cet amour divin répandu dans la vie du croyant par le Saint-Esprit qui anime, qui invite chaque croyant à être artisan de la réconciliation.

L’amour du Christ est la force motrice qui nous fait dépasser nos divisions et poser des actes de réconciliation. Nous sommes emportés par l’amour du Christ dans un mouvement de reconstruction, de réconciliation qui se construit patiemment. Une construction non plus de murs, mais de belles relations fraternelles qui témoignent de l’unité et de la diversité qui sont en Dieu. Une réconciliation qui débute par un rassemblement au pied de la croix de Jésus, en humilité. Un rassemblement à l’écoute de la Parole de Dieu, pour louer les merveilles de Dieu. Une réconciliation qui ne fait pas l’économie de la confession de notre péché de division et de l’imploration du pardon divin. Mais, une réconciliation qui invoque le secours de Dieu pour pouvoir porter un regard uni vers ce monde qui a besoin de l’espérance du Christ.

Frédéric Hubault, Pasteur de l’Eglise Protestante de Meulan

 

Eglise protestante de Meulan

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