Ces humbles qui permettent la venue du Règne de Dieu
Une question devrait nous habiter : j’ai fait tant de choses ! J’ai beaucoup parlé et beaucoup couru ! J’ai eu des rôles importants ! Et c’était pour la bonne cause, la cause de l’Évangile. J’ai répondu à un appel, comme prêtre, évêque, religieux, laïc, … dans une ou plusieurs missions. Qu’est-ce qui reste ? Qu’est-ce qui restera de tout cela ? Voilà une vraie et bonne question. On attache beaucoup d’importance aux beaux discours, aux cérémonies qui rassemblent les foules surtout quand on les préside, à une fonction qu’on a ou qu’on espère avoir… Mais, qu’est-ce qui est le plus important ? Sainte Thérèse, qui voulait être apôtre, missionnaire, avoir un rôle, déclare dans une sorte de conversion intérieure : « j’ai compris : la plus grande mission c’est d’aimer dans le cœur de l’Église et au cœur du monde ». Et elle va le vivre cachée aux yeux de tous dans son carmel et sa cellule de 10 m2. Et elle va être déclarée après sa mort, patronne des missions.
« Si je n’ai pas l’amour » dit saint Paul, « je ne suis rien. J’aurais beau courir, parler, avoir eu des responsabilités importantes et même faire des miracles… sans l’amour, je ne suis rien ». On pourrait ajouter à cette affirmation de l’apôtre : « si je n’ai pas l’humilité, je ne laisserai pas de trace de Dieu dans ma vie ».
Beaucoup d’amour et d’humilité. Deux mots pour comprendre ce qui s’est passé en cette matinée du samedi 16 novembre, autour des bénévoles et responsables de l’association Éveil Mat-InS. Dans un quartier du Val Fourré, on fêtait les trente ans de cette association fondée et accompagnée jusqu’en 2020 par sœur Marie-Paul. Ce n’est pas le charisme d’une super-sœur qui a fait des miracles dans la vie des personnes, mais bien la présence discrète et patiente d’une communauté de sœurs et plus largement de bénévoles qui ont agi dans le même esprit : présence fidèle au jour le jour dans un quartier, présence humble pour tous, présence d’écoute et de disponibilité à chacun et chacune, une présence qui est incarnation aux yeux de beaucoup, passée inaperçue, inscrite dans l’ordinaire de vie de chaque jour et de chacun. « Être disciple, c’est avoir la disposition permanente de porter l’amour de Dieu aux autres et cela se fait spontanément en tout lieu : dans la rue, sur la place, au travail, en chemin » (pape François).
Les témoignages de femmes, qui ont bénéficié d’un accompagnement à la sortie des classes, ou le témoignage d’adultes bénévoles, nous ont révélé que l’amour était l’essentiel. Dans les larmes de l’émotion et de la reconnaissance, on a compris que la vie de l’association, c’était la vie d’une famille où il y avait beaucoup d’amour. Et pourtant que de personnes différentes par la culture, l’éducation, la religion ! Et que de difficultés dans ce quartier pour des parents qui comprennent ou parlent mal le français ! Et que de risques que les enfants décrochent rapidement dès la maternelle !
Mais l’amour vécu dans l’accueil de tous et le regard sur chacun a fait des miracles. On a vu aujourd’hui des enfants devenus adultes, avec un travail professionnel et une famille. Ils ont dit que l’amour reçu et vécu dans cette structure, ouverte toute l’année, même pendant les petites vacances et l’été, les sorties culturelles et les vacances solidaires accompagnées par sœur Marie, en lien avec le Secours Catholique, les avait construits et changés pour la vie entière. « À partir de l’Évangile, nous reconnaissons la connexion intime entre évangélisation et promotion humaine » dit le pape François.
C’est Dieu que j’encensais dans mon cœur, grâce au miracle de son amour et de l’humilité dans le cœur de quelques-uns. Dans un contexte médiatique où il faut se faire voir, faire parler de soi et de ce que l’on fait, se valoriser, affirmer son identité, nous avons reçu la leçon inverse : on ne laisse de trace de Dieu qui dure, qu’en s’effaçant, qu’en disparaissant devant Lui. Les sœurs sont reparties après cette journée dans leur maison de retraite près de Poitiers où elles avaient si souvent accueilli ces familles de toutes origines.
Beaucoup disent : il faut s’affirmer, se montrer et proclamer sa foi. Il faut surtout, d’abord et avant tout, être le levain dans la pâte humaine où l’on est envoyé. C’est Dieu qui sème, c’est Dieu qui est à l’œuvre. On pense trop souvent la mission comme la nôtre ou même celle de l’Église. Mais la mission, c’est toujours la mission de Dieu, la mission où c’est l’Esprit Saint l’acteur principal. Pour finir, écoutons ce qui est dit d’Aïcha, médecin émérite qui se voit reprocher d’être trop réservée : « Tu ne sais pas te mettre en avant… et Aïcha haussait les épaules. Elle ne souffrait pas de cette timidité. Au contraire, il lui semblait que cet effacement d’elle-même, cette absence de désir d’être vue et entendue, lui avait permis de développer une sorte de don. Une présence aux autres… Elle prenait si peu de place, revendiquait si peu son droit à s’exprimer que les gens se confiaient à elle avec une liberté qui ne la surprenait plus ». (Leïla Slimani, « Le pays des autres »).
Frère Baudoin, prêtre