Comme un oiseau en cage
Me voilà arrivé récemment à Meulan, un nouveau dans la ville comme dans le roman de Georges Simenon. Après de multiples déménagements, des aventures folles à l’étranger, je garde l’espoir de vivre une retraite enfin apaisée, niché au dernier étage d’un immeuble sans ascenseur des années trente, tel un oiseau effarouché après de multiples migrations et un nomadisme avéré signe d’instabilité chronique, comme une chauve-souris qui trouve refuge dans un recoin du grenier et qui inquiète son entourage avant de trouver sa place.
C’est un petit appartement sous les toits, avec la pire note sur le plan de la qualité énergétique mais quand même avec le charme d’un atelier d’artiste. Je me trouve comme coincé à l’angle de deux rues qui s’encastrent l’une dans l’autre à la manière d’une épingle à cheveux. Le nom de la première rue évoque un peintre aujourd’hui un peintre académique bien oublié, Gustave Ravanne, qui a laissé tout de même sa trace dans un salon de la mairie. Vais-je parvenir à trouver là une veine artistique de nature à ressusciter un mouvement culturel adapté aux attentes de mon époque ? La deuxième rue évoque le maréchal Foch. La coïncidence est troublante : j’ai commencé ma carrière comme militaire et j’entends la terminer comme un artiste rangé qui prêchera aux oiseaux comme saint François d’Assises dans la célèbre pièce de Liszt.
Je suis arrivé là plus par calcul financier que par réel choix raisonné. J’ai eu un coup de cœur pour le cadre et l’environnement mais les relations restent à construire. Ce sont les oiseaux qui m’ont accueilli ; en premier, des pigeons invisibles, comme sortis du catalogue de Messiaen, qui me réveillent à l’aube par leur roucoulement subtil, en même temps que des souris qui laissent des traces insolentes sur mon plancher, ainsi qu’un chat au regard halluciné qui semble me parler comme dans la chanson de Pierre Vassiliu qui commence avec des cris d’oiseaux puis les questions fusent : « qu’est-ce qu’il fait là ? Qu’est-ce qu’il a ? Qui c’est celui là ? Il a une drôle de tête ce type-là ! » Ils semblent me dire en chœur : « quel drôle de zozo ce mec-là ! »
Un de mes voisins prédit que je ne vais pas m’imposer en ce lieu et que je vais bientôt repartir comme un oiseau migrateur. Un autre, sans être complètement pessimiste, reste bien dubitatif. Quant au policier municipal avec son physique rassurant de catcheur barbu, il m’a déjà mis trois amendes, comme si je ne parvenais pas à trouver de place pour ma voiture, voire pour moi-même. Toujours en écho à la chanson de Vassiliu, il semble dire : « et puis sa bagnole les gars, elle est vraiment bizarre les gars ! On va le mettre en prison ce type-là s’il continue comme ça !! »
En désespoir de cause, je vais à la fête de la musique avec l’espoir d’égayer un quotidien bien morose. Hélas ! J’y vais seul et j’y reste seul échangeant juste quelques paroles anodines avec un autre voisin isolé. Dans les cafés de la ville que j’ai tous visités les uns après les autres, j’entame de rares conversations mais elles ne se prolongent pas non plus. Là encore, je reste seul comme un oiseau de malheur. Le voisin du dessous trouve que je fais trop de bruit tel un pigeon au roucoulement intempestif. En un mot, je gêne. Trouverai-je au moins un voisin doué de réelle empathie vis-à-vis de moi ? Je relève les noms de lieu autour de moi. La maison rose de Meulan, des histoires étranges attachées à ce lieu aujourd’hui disparu.
Des commerces aux noms magiques : Etelvina, Ostrali, Varaki, Meulan exotique, l’Inattendu… Moi-même je semble être « inattendu » et mon histoire ici reste à écrire. Et dès lors les questions fusent : Vais-je sortir de ma cage ? M’ouvrir aux autres ? M’ouvrir au monde ? J’ai pourtant déjà été accueilli sinon pleinement intégré : les traîne-savates de Meulan, le domaine de Berson, l’atelier du Paradis, le presbytère de l’église Saint-Nicolas, sans oublier le commissariat municipal avec ses multiples amendes. Indiscutablement, les Meulanais ont le sens de l’hospitalité. Le problème doit en fait venir de moi ; je crains de me rogner à moi-même les ailes avec un pessimisme qui ne peut que rebuter mon entourage. Les questions sont posées, les interrogations demeurent, les doutes persistent sur ma capacité à faire mon nid dans cette cité yvelinoise.
Resterai-je là comme un oiseau en cage et prisonnier de ses principes ? Serai-je condamné à une perpétuelle marginalité tel un oiseau triste ? Vais-je enfin créer un foyer douillet tel l’oiseau sédentaire après ses années d’errance ?