Connaissez-vous l’agro-écologie ?
La question posée était « Quelle agriculture pour demain ? » et pendant trois heures, Marc Dufumier, agronome, enseignant chercheur et professeur émérite d’agriculture comparée et de développement agricole à AgroParis Tech, a tenu son auditoire en haleine sur ce sujet qu’il maîtrise parfaitement.
Il a commencé par exposer les enjeux de l’agriculture de demain : une population mondiale qui atteindra neuf milliards en 2020, une qualité actuelle qui n’est pas satisfaisante (présence d’antibiotiques dans la viande, résidus pesticides entraînant des perturbateurs endocriniens, …), des produits bas de gamme exportés des pays riches vers les pays pauvres (par exemple le surplus de poulet de batterie qui détruit l’élevage de poulet familial), des agriculteurs qui n’ont pas de revenus décents, une surmortalité des abeilles, une augmentation des aléas climatiques…
Comment en est-on arrivé là ? Marc Dufumier a souligné quelques errements du passé : extension des surfaces cultivées et déforestation des pays du sud, recherche génétique pour obtenir un plus haut potentiel de rendement avec des variétés passe-partout améliorées, sans chenilles, sans pucerons… mais avec des pesticides, augmentation de la robotisation, bref tout un ensemble de raisonnements micro-économiques qui, mis bout à bout, ont conduit à des déséquilibres écologiques.
Après ce tableau bien noir, y avait-il encore un avenir ?
C’est possible, nous dit Marc Dufumier, grâce à l’agro-écologie. Mais tout d’abord, comment définir l’agro-écologie ? Pour Pierre Rabhi, le paysan philosophe, c’est une éthique de vie. Pour Marc Dufumier, l’agro-écologie est une agriculture qui allie performances économiques et environnementales. Pour cela, il faut étudier scientifiquement comment fonctionnent nos agrosystèmes. L’agro-écologie doit faire un usage le plus intensif possible des ressources naturelles, renouvelables et gratuites :
–de la photosynthèse : « plus un rayon de soleil ne doit tomber à terre », par exemple faire pousser des lentilles entre les rangées de blé,
–de la pluviométrie : les plantes doivent transpirer pour capter le gaz carbonique, pas un mm3 d’eau ne doit ruisseler, le sol doit être poreux ce qui permet par exemple aux vers de terre de faire leur travail,
–de l’azote de l’air qui sert à fabriquer nos protéines et est fixée par la culture de légumes secs ; les microbes utilisent ensuite cet azote pour produire l’humus. Cela éviterait l’utilisation d’engrais azotés de synthèse issus du gaz naturel, coûteux en énergie fossile et contribuant au réchauffement climatique,
–des éléments minéraux du sous-sol en privilégiant la plantation des arbres à enracinement profond et l’usage des champignons mycorhiziens pour mieux fertiliser la terre arable. Enfin, il faudrait réassocier élevage et culture ce qui permettrait encore davantage de tirer parti des interactions entre végétaux, animaux, humains et environnement. Ces techniques agricoles innovantes permettent de concilier performances économiques et respect de l’environnement.
A travers des diapositives, Marc Dufumier nous a montré certains exemples de mise en place de ces techniques : comment les paysans d’Afrique luttent efficacement contre la désertification en plantant du mil sous des arbres à racine profonde, comment la culture du blé entre des chênes truffiers est optimum ou, plus près de chez nous, comment à la ferme du Bec-Hellouin, l’hectare cultivé produit trois fois plus que celui d’une exploitation classique qui a recours aux engrais chimiques et aux produits phytosanitaires.
Le débat qui a suivi a abordé le sujet de la perception de l’agro-écologie chez les agriculteurs. Même si de plus en plus d’agriculteurs se tournent vers le bio, il faut reconnaître que pour ceux qui ont investi dans l’agriculture classique et qui ont dû s’endetter pour faire face à la concurrence, l’alternative agro-écologie n’est pas envisageable.
Un autre enjeu est de rendre accessible aux couches modestes des produits artisanaux ; pour cela, les agriculteurs doivent être nécessairement mieux rémunérés. Cela serait possible en réorientant dans deux directions les neuf milliards d’euros de subventions de la PAC :
–subventionnement du tout bio dans les cantines des écoles, collèges, lycées car ce sont les enfants qui sont les plus affectés par les perturbateurs endocriniens,
–rémunération des services environnementaux rendus par les agriculteurs à travers une agriculture plus artisanale, moins industrielle : par exemple, les agriculteurs produisent des protéines, cela évite d’importer des engrais azotés de synthèse ou de gaz naturel russe pour les fabriquer, cela préserve les abeilles ; c’est d’intérêt général, donc il faut les rémunérer.
Face aux lobbies de l’agroalimentaire, l’agro-écologie progresse doucement, mais Marc Dufumier est toutefois persuadé que l’avenir ne peut être qu’une agriculture bio, locale et équitable.
Véronique Schweblin