De belles endormies à Hardricourt
Surprise ! Mardi 2 août, les ouvriers chargés de la réfection de la toiture de l’église d’Hardricourt déposent les tuiles côté nord, et là, bien tranquillement, les attendent 5 statues posées sur le plafond… Que faut-il en faire ? C’est la question que se pose alors la municipalité d’Hardricourt : les laisser à leur triste sort jusqu’à la prochaine réfection de la charpente (dans 150 ans environ) ou bien les extraire et aviser ensuite. Il faut agir vite, les charpentiers ont déjà posé les nouveaux chevrons ! Une cellule de crise composée d’adjoints de mairie, de représentants de la paroisse, avec le support d’un technicien visuel pilotant un drone chargé de prendre les photos, se réunit dès le mercredi matin et décide de déménager les belles endormies… L’entreprise de rénovation apporte son support : elle dévisse un chevron, approche le charriot élévateur et voici les statues descendues deux par deux, sous les yeux de quelques passants très intéressés. Elles sont en plâtre et mesurent entre 1 m et 1,2 m. Après un peu de dépoussiérage, elles se présentent à nous, parfois très handicapées :
- il y a d’abord Jeanne d’Arc qui a perdu son étendard (et son mollet),
- Saint-Michel terrassant le démon et lui a perdu ses bras et ses ailes,
- Notre-Dame des Victoires : Marie retient Jésus posé sur un globe terrestre de sa seule main gauche : l’autre est cassée, de même que celle de Jésus,
- Marie (ou un ange ?) au pied de laquelle on peut lire : « donné par Madame de Fitz-James de la villa Cara »,
- Jésus montrant son cœur : c’est la plus petite statue et la seule sur laquelle il reste des traces de peinture.
Pour Jeanne d’Arc, il est assez facile de trouver (merci Internet) quelques informations, d’autant qu’il y a la signature de l’auteur du modèle : A. Vermare. André-César Vermare (1869-1949) a été Prix de Rome de sculpture en 1899. Il a exécuté le marbre original de cette statue en 1909 pour l’église Saint-Louis des Français à Rome à l’occasion de la béatification de Jeanne d’Arc. Cette composition a été approuvée par le pape Pie X. Ce modèle a fait l’objet d’une fabrication industrielle et a été éditée en plâtre, en fonte ou en bronze par différents éditeurs ; elle est présente dans divers lieux de culte : église Saint-Eustache à Paris, co-cathédrale de Bourg-en-Bresse, église paroissiale saint-Fiacre de Bouvancourt, église paroissiale Notre-Dame d’Aurice, …
La statue de Jésus, qui porte sur son socle l’inscription D. Saudinos Ritouret, est également souvent intitulée « Sacré Cœur de Jésus » et est aussi présente dans plusieurs lieux de culte dont l’église de Bougival où les explications suivantes sont mentionnées :
« A propos de la statue du Sacré Cœur de notre église de Bougival.
Le fait que Notre Seigneur écarte son vêtement pour montrer son Cœur est assez peu courant. Les statues du XIXème présentent en général Jésus montrant du doigt son Cœur placé sur sa tunique.
Elle mesure 1,60 m. La maison D. Saudinos Ritouret, qui l’a réalisée, était une entreprise spécialisée dans les objets de culte (chapelets, médailles, bénitiers, cartes pieuses, statues d’église). En 1875, elle fut dirigée par la veuve Saudinos. Entre 1875 et 1880, elle tint boutique au 6 place Saint-Sulpice à Paris ; en 1918, elle était installée aux 2, 4 et 6 place Saint-Sulpice à Paris. En 1875, elle ouvrit une succursale près de la chapelle provisoire aménagée sur la butte Montmartre et fut désignée « concessionnaire exclusif de l’œuvre du Vœu National » (association qui existe encore aujourd’hui et prend en charge et gère les moyens matériels et humains nécessaires à la mise en œuvre des diverses activités pastorales de la Basilique de Montmartre). En 1894, après l’achèvement de la basilique, elle obtint un second point de vente. Entre 1914-1918, elle avait également une manufacture d’objets de religion à Vertolaye, dans le Puy-de-Dôme. Sa marque est D.S.R. On la trouve par exemple sur des statues de la Vierge en régule (alliages d’étain ou de plomb et d’antimoine) ».
Pour les autres statues, le mystère est total : d’où viennent-elles ? Étaient-elles installées dans l’église et où ? Pourquoi étaient-elles au grenier ? Quelques éléments de réponse : grâce à madame Hureau qui s’est longtemps occupé de l’église avec son mari Daniel, on sait que, avant la rénovation de l’église qui a eu lieu entre les années 1980 et 1990, comme elle était très humide, de nombreux objets étaient au grenier. Après la rénovation, certains, comme le joli chemin de croix, ont été rénovés par des paroissiens et ont retrouvé leur place originelle mais d’autres sont restés au purgatoire sous les toits…
L’enquête va se poursuivre, la réflexion sur l’avenir des statues aussi et bien sûr, nous invitons nos lecteurs à nous transmettre toute information les concernant.
Véronique Schweblin