Dignitas infinita
L’infinie dignité de la personne humaine
Signé le 2 avril, jour du 19ème anniversaire de la mort du pape Jean-Paul II, ardent défenseur de la dignité humaine, ce texte a été publié le 8 avril, soixante-quinze ans après l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Il s’agit d’une déclaration du dicastère pour la Doctrine de la foi en quatre parties qui traite de la question de la dignité de la personne humaine. C’est le fruit d’un long travail de cinq ans. Elle définit la dignité, en montre les fondements et le caractère de vérité universelle, soulignant que si celle-ci n’est pas reconnue, nos sociétés ne peuvent pas être authentiquement humaines. La publication de cette déclaration arrive au moment opportun pour nous apporter les repères indispensables alors que notre pays est affronté aux questions de lois sur l’avortement et la fin de vie mais doit aussi faire face à la situation des migrants, aux violences contre les femmes, à la guerre en Ukraine et en Terre Sainte…
Les trois premières parties mentionnent les idées fondamentales et théoriques. La dernière analyse les situations problématiques actuelles où la dignité humaine n’est pas reconnue à sa juste place.
Qu’est-ce que la dignité humaine ?
Une infinie dignité, indéniablement fondée dans son être même, appartient à chaque personne humaine ; ainsi, l’Église proclame l’égale dignité de tous les êtres humains, quelles que soient leurs conditions de vie et leurs qualités :
- la dignité de l’être humain provient de l’amour de son créateur qui l’a créé à son image ;
- l’incarnation est venue renforcer cette dignité intrinsèque de tout être humain ;
- la finalité de l’être humain est de grandir sous l’action de l’Esprit-Saint pour participer à la vie éternelle.
- Cette dignité confère à l’être humain une capacité qui est à la fois une force, une responsabilité et un combat: choisir librement de vivre à la hauteur de sa propre dignité, sans se laisser aliéner par le péché ;
La dignité de l’être humain fonde ainsi les droits et les devoirs de l’homme :
- il y a d’abord un droit au respect inconditionnel de cette dignité qui n’est pas seulement celle d’une personne ayant toutes ses capacités intellectuelles et cognitives, mais aussi celle d’une personne n’ayant pas encore ces capacités (enfant à naître) ou ne les ayant plus (personne lourdement handicapée ou âgée non autonome) ;
- il ne s’agit pas d’un droit subjectif à assouvir une liberté isolée ou individualiste mais bien de chercher objectivement ce qui est constitutif du bien de l’être humain. Sans cette référence objective, le concept de dignité est en réalité soumis à l’arbitraire et aux rapports de force les plus divers ;
- la dignité humaine comprend donc une capacité d’assumer des obligations à l’égard d’autrui et de l’environnement.
La liberté est un merveilleux cadeau de Dieu mais elle doit pour s’épanouir, rester attachée à son créateur, sans quoi elle risque de se penser autosuffisante et de rester en réalité dépendante des conditionnements, contextes ou limitations qui marquent nos existences.
Enumérations des violations de la dignité humaine
La fin de la déclaration « Dignitas infinita » revient sur les grandes violations de la dignité humaine de notre monde contemporain ; ainsi,
- lorsque des décisions s’opposent à la vie elle-même (homicides, génocides, peine de mort, …) ou à l’intégrité de la vie (torture, mutilations) ;
- lorsque la vie est confrontée à des pauvretés extrêmes, notamment à cause de l’inégalité de la répartition des richesses dans le monde ou lorsque des personnes sont privées de leur travail ; la pauvreté : « l’une des plus grandes injustices du monde contemporain » ;
- lorsque les guerres surviennent et tuent des innocents ;
- lorsque des migrants ne sont pas accueillis comme des personnes humaines qui doivent être respectées en toute circonstance ;
- lorsque des exploiteurs et des trafiquants traitent des personnes humaines comme des marchandises ; accusation du pape François : « je réaffirme que la traite des personnes est une activité ignoble, une honte pour nos sociétés qui se disent civilisées » ;
- lors des abus sexuels de tout genre, – « phénomène qui touche aussi l’Église et représente un sérieux obstacle à sa mission » – ou des violences exercées contre des femmes, qui constituent un scandale de plus en plus reconnu ;
- lorsque se développent des pratiques d’avortement, de gestation pour autrui, d’euthanasie ou de suicide assisté, ou lorsque des personnes handicapées sont mises au rebut ; « la dignité de tout être humain a un caractère intrinsèque qui vaut depuis le moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle » ; au sujet de la GPA, le document indique : « toute vie humaine, à partir de celle de l’enfant à naître dans le sein de la mère, […] ne peut être supprimée, ni devenir objet de marchandage. La pratique dite de la mère porteuse […] est fondée sur l’exploitation d’une situation de nécessité matérielle de la mère. Un enfant est toujours un cadeau et jamais l’objet d’un contrat » ;
- lorsque des personnes sont discriminées en raison de leur orientation sexuelle, lorsque la différence sexuelle est niée ou lorsqu’une personne prétend pouvoir disposer de soi sans tenir compte du fait que la vie humaine, dans toutes ses composantes, physiques et spirituelles, est un don de Dieu qui doit être accueilli avec gratitude ; ce document critique la théorie du genre et le changement de sexe car « le corps de l’homme participe à la dignité de l’image de Dieu ». Toutefois, l’Eglise rappelle que « chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec respect, avec le soin d’éviter toute marque de discrimination injuste » ;
- lorsque les médias numériques sont utilisés à de mauvaises fins pour calomnier, exploiter des personnes à des fins sexuelles ou par le biais de jeux de hasard.
« Je demande à chaque personne de ce monde de ne pas oublier sa dignité que nul n’a le droit de lui enlever » disait déjà le pape François dans l’encyclique Laudato Si’.
Si vous désirez aller plus loin, vous trouverez ci-dessous des morceaux choisis de ce texte : ils évoquent notamment l’attitude envers les autres créatures du cosmos, (N°28), des nouvelles pauvretés qui apparaissent (N°37) ; ils reprennent et actualisent les propos du pape Paul VI aux Nations-Unies le 4 octobre 1965 (jour de la saint François d’Assise), « jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! » (N° 39) et précisent la position de l’Eglise sur la théorie du genre (N° 58). Bonne lecture !
Eric Le Scanff
28. La différence entre l’être humain et le reste des autres êtres vivants, qui ressort du concept de dignité, ne doit pas nous faire oublier la bonté des autres êtres créés, qui existent non seulement en fonction de l’être humain, mais aussi avec une valeur propre, et donc comme des dons qui lui sont confiés et qu’il faut chérir et cultiver. Ainsi, alors que le concept de dignité est réservé à l’être humain, la bonté des autres créatures du cosmos doit être affirmée en même temps. Comme le souligne le Pape François : « précisément en raison de sa dignité unique et par le fait d’être doué d’intelligence, l’être humain est appelé à respecter la création avec ses lois internes, […] : “Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres […] Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses” ». Plus encore, « aujourd’hui nous sommes obligés de reconnaître que seul un “anthropocentrisme situé” est possible. Autrement dit, reconnaître que la vie humaine est incompréhensible et insoutenable sans les autres créatures ». Dans cette perspective, « il n’est pas sans importance pour nous que nombre d’espèces disparaissent et que la crise climatique mette en danger la vie de tant d’êtres ». Il appartient en effet à la dignité de l’être humain de prendre soin de l’environnement, en tenant compte en particulier de cette écologie humaine qui préserve son existence même.
37. Avec le Pape François, il faut donc conclure que « la richesse a augmenté, mais avec des inégalités ; et ainsi, il se fait que “de nouvelles pauvretés apparaissent”. Lorsqu’on affirme que le monde moderne a réduit la pauvreté, on le fait en la mesurant avec des critères d’autres temps qui ne sont pas comparables avec la réalité actuelle ». En conséquence, la pauvreté s’étend « de multiples façons, comme par exemple dans l’obsession de réduire les coûts du travail sans prendre en compte les graves conséquences que cela entraîne, car le chômage qui en est la résultante directe élargit les frontières de la pauvreté ». Parmi ces « effets destructeurs de l’Empire de l’argent », il faut reconnaître qu’« il n’existe pas pire pauvreté que celle qui prive du travail et de la dignité du travail». Si certaines personnes naissent dans un pays ou une famille où elles ont moins de possibilités de développement, on doit reconnaître que cela va à l’encontre de leur dignité, qui est exactement la même que celle des personnes nées dans une famille ou un pays riche. Nous sommes tous responsables, à des degrés divers, de cette iniquité flagrante.
39. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, l’Église ne peut que faire siennes les paroles des Pontifes, répétant avec saint Paul VI : « jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! », et demandant, avec saint Jean-Paul II, « à tous au nom de Dieu et au nom de l’homme : ne tuez pas ! Ne préparez pas pour les hommes destructions et exterminations ! Pensez à vos frères qui souffrent de la faim et de la misère ! Respectez la dignité et la liberté de chacun ! ». C’est précisément à notre époque le cri de l’Église et de toute l’humanité. Enfin, le Pape François souligne que « nous ne pouvons plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste”. Jamais plus la guerre ! ». Puisque l’humanité retombe souvent dans les mêmes erreurs que par le passé, « pour construire la paix, nous devons sortir de la logique de la légitimité de la guerre ». La relation intime qui existe entre la foi et la dignité humaine rend contradictoire le fait que la guerre soit fondée sur des convictions religieuses : « Celui qui invoque le nom de Dieu pour justifier le terrorisme, la violence et la guerre, ne marche pas sur Sa route : la guerre au nom de la religion devient une guerre à la religion elle-même ».
58. Un […] aspect de la théorie du genre est qu’elle cherche à nier la plus grande différence possible entre les êtres vivants : la différence sexuelle. Cette différence fondatrice est non seulement la plus grande que l’on puisse imaginer, mais aussi la plus belle et la plus puissante : elle réalise, dans le couple homme-femme, la plus admirable réciprocité et est donc à l’origine de ce miracle qui ne cesse de nous étonner, à savoir l’arrivée de nouveaux êtres humains dans le monde.