Dignité humaine et orientation professionnelle
Etre, faire et avoir
Comme l’indique sa réponse naturelle (cf. article « chercheurs de Dieu », Les Echos de Meulan de décembre), l’intuition du lycéen ou du collégien est de se placer dans l’être, mais l’être de rêve. C’est un être qu’il faut quitter, sans perdre l’objectif d’ « être plus ». Pour cela, il lui faut passer par le faire pour se développer, pour développer en lui les facettes de la dignité humaine.
L’environnement nous pousse dans une troisième dimension, qui est celle de l’avoir. Elle n’est pas négligeable, car l’avoir est nécessaire à la subsistance, au « faire » et à l’établissement de relations qui apportent une richesse d’ « être ». « Avoir » est au service des deux autres lorsqu’il permet de DEVENIR ce que nous sommes vraiment.
Curieusement, le monde environnant fonde toute sa cohérence sur ce ressort situé en dehors de la personne, en excitant le désir de posséder. C’est la question de la reconnaissance par le salaire, aussi bien des dirigeants, dont les salaires n’ont plus rien à voir avec la question de la subsistance, que des employés, qui identifient augmentation de salaire, reconnaissance et existence.
La hiérarchie est singulièrement remise à nu au seuil de la mort. Les témoignages sur nos défunts parlent de ce qu’a été sa Personne à travers ses actes et son exemple (être par le faire). Mais les biens matériels, il faut les laisser ; c’est sans doute une souffrance terrible et mystérieuse que cet attachement aux choses.
Servir et contempler.
L’esprit de service ne justifie pas tous les services ; en tous cas faut-il se poser la question du sens du service, c’est-à-dire prendre le temps de confronter la finalité du service à la morale ou, tout au moins, à l’éthique personnelle, sous peine de décalage (qu’on appelle parfois « aliénation ») qui devient à la longue un fardeau psychologique pour le travailleur. Ce temps de recul, de contemplation, est nécessaire pour avancer.
A chaque acte de création, dans la Genèse, « Dieu vit que cela était bon ». Il prend le temps de contempler et d’émettre un jugement sur son œuvre. Puis, en Son conseil, il se propose de créer autre chose : « faisons… ». Ce conseil, ce n’est pas du repos, c’est un vrai travail de gestation.
Se situer dans l’histoire
C’est une question d’humilité : voir ce que nos prédécesseurs ont fait, dans quel esprit, et continuer l’aventure en apportant notre contribution et en permettant à nos successeurs de prolonger eux-mêmes le processus, avec leur part de réforme et de créativité.
L’histoire est une matière absolument nécessaire à la maturité ; peut-être même qu’il faut déjà de la maturité pour accepter de se situer dans l’histoire ; je pose là la question de la formation continue, qui doit s’ouvrir à d’autres champs que la pure amélioration de la technicité des personnes.
L’histoire est riche d’enseignements sur cette question de la dignité humaine ; dans le cas du thème de la personne au travail, prenons un exemple des associations professionnelles : les corporations médiévales avaient leurs règles d’embauche, de formation, de promotion, de salaires, de congés. Ces règles échappaient au pouvoir central et étaient perçues comme rigides, vers la fin du XVIIème siècle, parce qu’elles n’avaient pas évolué avec les techniques. La loi Le Chapelier les a supprimées et a supprimé le droit d’association ; la loi Waldeck-Rousseau les a rétablies un siècle plus tard, lors de la révolution industrielle.
Cet épisode de l’histoire professionnelle de France montre comment la dignité humaine a été par trois fois ignorée :
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1 : les corporations n’ont pas tiré les conséquences du « nommer toute chose » biblique, en ne prenant pas en compte le réel, les sciences.
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2 : l’interdiction d’établir des liens de solidarité entre les personnes, leur refusant la dimension relationnelle, trinitaire (« à l’image de Dieu »).
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3 : en niant à la personne humaine toute transcendance, les personnes ont été rabaissées au rang d’un outil de production qu’il faut nourrir pour le pérenniser.
Ne pas respecter la dignité humaine aboutit à des « structures de péché », selon le terme de Jean-Paul II. Cependant, rappelons ici ce que dit saint Paul : « il n’y a plus ni esclaves ni hommes libres, ni juifs, ni païens » : les attributs sociaux ne font pas la dignité humaine, celle-ci est définitive : elle se trouve dans la réconciliation de la nature humaine avec la nature divine, en Jésus-Christ. Ce qui apparaît comme des antagonismes sociaux doivent être pensés en termes de complémentarité de services et de vocation.
Voilà en quelques paragraphes des éléments à disposition de nos lycéens, éléments qui doivent leur permettre de fonder leurs choix de vie professionnelle. Bon courage à tous !
Hervé Bry