Éloge des humbles
La sainteté n’est pas la perfection. La perfection, exigée dans la société, c’est la performance, la réussite, la bonne image. Peut être que depuis trente ans, sous prétexte de restauration et même de ré-évangélisation, l’Église, soucieuse de son image, a renoué avec les vieux démons du triomphalisme, avec un souci des apparences, du résultat et d’une image qui conduit à cacher les fragilités, même quand elles sont criminelles. Aujourd’hui, ce qui a été caché explose au grand jour. Ce jeu des apparences est dangereux car il conduit à des abandons, des burn-out et même des suicides. Nous vivons des humiliations qui doivent nous remettre sur un chemin d’humilité et de présence aux plus pauvres. Le chemin de Jésus est tellement loin du succès, qu’Il part dans le désert pour le fuir. Jésus n’est pas un séducteur, car le séducteur conduit à soi. Dans la pastorale, au milieu des pièges des médias et des blogs, il nous faut être vigilant.
La sainteté est une révolution, celle des humbles, chantée par Marie dans son magnificat : « Dieu élève les humbles, il abaisse les orgueilleux ». Devant ces humbles, j’ai envie de me prosterner tous les jours. C’est la mère de famille courageuse qui mène de front devoir familial et exigence de travail pendant que son mari volage s’absente et ne prend pas ses responsabilités. C’est la femme contrainte de quitter son pays, qui vit dans une chambre d’hôtel de 9 m2 avec trois enfants, sans grand chose à manger et attendant des papiers. C’est celui qui se retrouve projeté par la maladie dans la solitude et une marginalité. Ce sont tous ceux et celles qui vivent au jour le jour dans une certaine précarité : je ne parle pas seulement de ces millions qui vivent une misère subie dans des contextes de violence ou de pauvreté endémique, mais aussi dans notre pays où j’apprends qu’une personne sur cinq ne fait pas trois repas par jour. Autant de situations humaines qui nous environnent… Allons-nous vers elles ?
On peut multiplier ces exemples à l’infini. Nous les rencontrons tous les jours, ces humbles qui font preuve de patience et gardent le sourire. Nous passons à côté d’eux sans connaître leur histoire ou quand nous en connaissons un bout, nous pensons qu’ils ont plus ou moins de responsabilités dans leur situation.
Or Dieu ne voit pas ainsi. Il ne pèse pas en fonction des mérites ou des torts de chacun. Il entend le cri de l’humilié et du pauvre qui pleure sa dignité perdue et qui découvre dans le secret de sa conscience, loin du regard indifférent des hommes, une autre voix, celle de Dieu. Dieu ne demande pas de comptes. Dans le cri d’une souffrance, il y a toujours la présence de Dieu. Dans un cœur satisfait, Dieu ne trouve pas de place. Ce que des hommes n’ont pas compris, à commencer par des gens d’Église, c’est que la présence de Dieu ne dépend pas de nous. On calcule nos mérites, on compte des points de bon comportement, on dit aux autres ce qu’il faudrait faire, … comme si nous savions où est Dieu. Mais Dieu est là où nous ne savons pas ! Il vient tout seul rejoindre celui ou celle dont le cœur est suffisamment humble pour l’accueillir.
Quelquefois je m’interroge si nous allons là où est vraiment Dieu ? Il nous manque une liberté, une initiative pour prier et célébrer des sacrements avec ceux ou celles qui sont loin de l’institution mais si proches de Dieu. Nous pouvons le vivre étonnamment dans le monde de l’hôpital ou de la prison. Loin de toute organisation ou de questionnement sur le degré de préparation qui nous préoccupent tant, l’exemple de Philippe, dans les Actes des Apôtres au chapitre VIII, devrait inspirer notre agir. Le sacrement ne doit pas être seulement la réponse à une demande qu’on vérifie, mais la proposition offerte à une situation où l’on s’étonne de la confiance dans l’épreuve. Encore faut-il que nous obéissions à l’Esprit Saint pour être sur ces lieux de détresse humaine, comme l’est l’apôtre Philippe avec l’esclave fait eunuque par ses maîtres ? « Qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ? ».
Entendons comme Pierre, des personnes parler de leur confiance en Dieu dans toutes les langues : « Pourrait-on empêcher ces personnes d’être baptisées avec de l’eau, maintenant qu’elles ont reçu le Saint Esprit aussi bien que nous ? ». Et il ordonne de les baptiser au nom du Seigneur Jésus le Christ. Oui, certains ont reçu le Saint Esprit et en vivent alors qu’ils n’ont pas été baptisés dans l’eau ?