Alain Huré, dessinateur humoristique
Jambville, juste à côté de la mairie, c’est tout au fond d’un jardin un peu fouillis qu’on peut trouver son atelier, une petite pièce chaleureuse encombrée de pots de crayons, aux murs, plusieurs tableaux et gravures et sur les étagères des piles de bouquins ; ah ! Il y a tout de même quelque chose qui tranche, un ordinateur, accessoire précieux et indispensable pour ce dessinateur aux yeux rieurs et au sourire malicieux que nous vous proposons de rencontrer aujourd’hui.
Bonjour Monsieur Huré, merci de nous recevoir. Un vrai bonheur que de découvrir votre lieu de travail ; on s’y sent bien, des tas de « bonnes ondes » nous traversent… Vous exercez un métier très apprécié des jeunes. Comment êtes-vous entré dans cette profession ?
J’ai rapidement eu la vocation ; ainsi, vers 10 ans, sans doute inspiré par les bandes dessinées dont j’étais friand, j’ai « décidé » que je ferai ce métier. Il faut dire que j’étais un peu solitaire et que, avec un papa cuisinier pour collectivités, nous déménagions souvent ; je n’avais donc pas beaucoup de copains. Et puis je dois dire qu’à l’école, ma professeure de dessin a rapidement compris que je ne voulais faire « que » ça, c’est d’ailleurs elle qui m’a conseillé et dirigé vers cette branche artistique.
Quelles études avez-vous suivies ?
Après le lycée, mes parents ont fait un petit sacrifice : ils m’ont permis de suivre pendant une année des cours à l’école Penninghen, une école parisienne payante qui préparait à la création tout en laissant une très grande autonomie à ses élèves. Cette année, qui fut très intense et m’a demandé beaucoup de travail, m’a surtout permis de passer et de réussir (c’était en 1968 !) le concours d’entrée à l’école des Arts Décoratifs, toujours à Paris. Les quatre années que j’y ai passées, les deux premières d’études générales et les deux dernières spécialisées dans l’illustration, m’ont permis d’acquérir et de maîtriser plusieurs techniques autour du dessin. C’est aussi grâce à cette école qu’au cours d’un échange avec les Beaux Arts de Varsovie, j’ai rencontré celle qui allait devenir mon épouse ; ça dure depuis près de cinquante ans.
Bon, vous voilà diplômé, il vous faut maintenant trouver un travail, ce n’est sans doute pas si simple ?
Ah non pas du tout ! Il y a d’abord eu le service militaire, un passage obligé à cette époque et puis, comme je vous l’ai dit, je me suis marié ; il fallait donc un salaire pour permettre de « faire bouillir la marmite ». Tout en continuant à faire de petits dessins, en particulier pour une banque, la BRED et une association de jeunesse, l’UFCV, j’ai donc commencé à travailler dans un atelier d’urbanisme. Une activité qui n’a pas duré très longtemps, sans doute un signe du destin, l’entreprise a mis la clef sous la porte, me voilà chômeur ! J’ai donc un peu plus de temps pour dessiner et trouver des clients potentiels et ça a marché…Je ne suis resté au chômage que trois mois ! J’étais surtout très heureux de retrouver cette indépendance à laquelle je tiens beaucoup.
J’ai d’abord travaillé pour la CFDT et pour le CCFD ; à partir de là, les clients sont arrivés et j’ai dessiné pour de grosses entreprises comme Volkswagen ou les cafés Grand-mère. J’habitais alors Paris car c’est là que se trouvait la plupart de mes clients. Il n’y avait pas encore Internet ; il fallait donc que je livre moi-même (ou par l’intermédiaire d’un coursier) les commandes. Plus tard, il y a eu le Fax, qui était une solution déjà acceptable, mais c’est vrai que le Net est maintenant la vraie solution pour ces livraisons.
Et Jambville, qu’est-ce qui vous y a amené ?
A la fin des années 80, les progrès technologiques (Fax puis Internet) ont permis un certain éloignement par rapport à ma clientèle et je dois avouer qu’Ewa, mon épouse et moi avions une petite envie de campagne. Nous avons donc prospecté en traçant un cercle autour de Paris et il se trouve que Jambville se trouvait juste à sa limite… Mais pourquoi vraiment ? Je ne saurais vraiment vous dire, peut-être une rencontre, celle de Pierre Dumont qui habitait la région ? Il était alors président de Critérion, une petite maison d’édition qui appartint plus tard au groupe Fleurus ; j’ai illustré pour cet éditeur un album de bande dessinée regroupant quelques fables de La Fontaine, un très bon souvenir… Enfin, bref, nous voilà à Jambville, dans cette belle maison, un ancien prieuré, une demeure dans laquelle nous avons fait beaucoup de travaux car elle était quasi abandonnée et cela depuis un certain temps. Je ne regrette pas du tout cet emménagement car nous nous plaisons beaucoup dans ce joli village du Vexin.
Je crois d’ailleurs que vous vous investissez beaucoup dans la vie communale ?
Vous êtes bien renseigné. En effet, j’ai longtemps fait partie du conseil municipal (dix-neuf ans !) et même été maire adjoint. Mais j’ai d’abord commencé par m’investir dans le milieu associatif. Comme mon épouse était peintre et que j’avais moi-même commencé l’aquarelle peu de temps après mon arrivée dans le village, nous avons participé à l’exposition de peinture organisée par les « Amis de Jambville ». Je me suis rapidement intégré à l’équipe pour cette activité puis pour d’autres. Depuis, deux fois par mois, toujours avec cette association, je participe à un atelier d’écriture au cours duquel une douzaine d’apprentis-écrivains donne libre cours à leur imagination. En plus du salon de peinture, l’association propose des sorties-promenades, des parties de scrabble et des concerts qui sont très appréciés.
A titre personnel, j’interviens également en milieu scolaire. D’abord à l’école communale, j’y présente aux enfants mon métier de dessinateur, une profession qui attire beaucoup les jeunes, puis je leur propose un atelier dessin à partir d’une histoire choisie par un groupe d’élèves. Je leur demande ensuite d’illustrer ce récit ; c’est passionnant mais assez fatigant ! Je profite aussi de l’exposition de peinture pour en faire avec eux une visite générale puis leur propose de choisir parmi les œuvres exposées une photo ou une toile qu’ils devront copier, c’est une bonne initiation à la peinture. D’autre part, au lieu de vie « Le Colibri » situé dans le village, j’anime des ateliers de travaux manuels et de dessins avec des enfants, un peu plus grands, entre 12 et 15 ans.
Aussi, comme je suis à proximité du château de Jambville, qui est, comme vous le savez, la propriété des Scouts et Guides de France, j’ai fait pour eux pas mal de dessins. J’ai en particulier dessiné les grilles du château ; ils avaient lancé une souscription dans le but de les restaurer et cette aquarelle a illustré le bulletin de souscription. Toujours pour les scouts, j’ai également pris beaucoup de plaisir à agrémenter de quelques-uns de mes croquis leurs carnets de chants bien connus, « Diapason ».
Parlons un peu technique, pouvez-vous nous expliquer comment vous travaillez ?
Tout commence par un dessin, tout simple en noir et blanc sur un papier de format varié. Auparavant, ce dessin, après accord du client, je le mettais à l’encre, de l’écoline, une sorte d’aquarelle liquide, puis je l’envoyais au client ou le portais moi-même, mais ça, c’était avant… Depuis, c’est plus facile, on colorie les dessins avec un logiciel adapté, « Photoshop » par exemple, c’est un outil qui fait gagner un temps appréciable.
Ce qui n’est pas facile à gérer pour le dessinateur (et l’artiste en général), c’est la pression, le stress que génère l’urgence ; les éditeurs ou les clients sont toujours extrêmement pressés. Pour ma part, c’est un sentiment que j’apprécie plutôt et que je maîtrise assez bien, mais j’ai vu de très bons dessinateurs comme paralysés devant des commandes trop précises, un peu comme l’écrivain devant sa page blanche.
Comment trouvez-vous l’inspiration, qu’est-ce qui déclenche le dessin ?
Quand on me fait une commande, il faut que je trouve le déclic, l’accroche… et quelquefois ça peut prendre un certain temps, mais dès que l’idée est trouvée, ça va assez vite. Il faut surtout pas mal de références culturelles pour aller la dénicher.
Quelle est votre actualité, dans quel domaine travaillez-vous aujourd’hui ?
J’ai un gros travail pour le groupe Sade, une grosse société de travaux publics pour laquelle j’illustre des affiches de sécurité mais je fais aussi quelques dessins pour le livre qu’un ami écrit en ce moment. Cet ouvrage va présenter une trentaine de petits Etats curieux, comme Monaco, le Lichtenstein ou les Iles Caïman, etc. ; mon travail consistera à trouver pour chacun d’eux un dessin humoristique, c’est un travail réjouissant ! Et puis je dois faire encore d’autres peintures pour la prochaine exposition.
Je vois que vous ne manquez pas de projets et que manifestement, pour vous l’heure de la retraite n’a pas encore sonné. Merci beaucoup pour toutes ces explications et pour vos dessins à l’humour si tendre. Nous vous souhaitons de vous amuser, tout en nous faisant sourire, encore longtemps…
Propos recueillis par Jannick Denouël
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