Charles Peyrouty, fondateur et directeur de l’association La SEVE, une association basée à Sailly
Pour ce numéro des Echos « spécial nature », nous vous invitons à rencontrer Charles Peyrouty ; il est le fondateur d’une association qui a pour but de sensibiliser et d’éduquer tous les publics à la biodiversité et à la permaculture.
Bonjour M. Peyrouty, merci d’accorder un peu de votre temps à notre journal. La SEVE ? C’est un peu mystérieux, quelle est la signification de cet acronyme ?
Ce sigle résume parfaitement le but de notre association, ce sont les initiales de Savoirs Ecologiques et Valorisations Environnementales ; ce symbole de la sève fait pour nous beaucoup de sens, liquide nourricier à la base des écosystèmes, il permet en même temps de mettre en évidence l’importance des connaissances nécessaires pour changer le monde.
Parlez-nous un peu de vos activités.
Nous avons trois objectifs majeurs : d’abord éduquer, sensibiliser et informer sur tout ce qui concerne l’environnement et la nature ; ensuite réhabiliter, restaurer et valoriser le patrimoine local à travers des techniques bien sûr respectueuses de l’environnement et enfin, restaurer et valoriser des sites en milieux naturels ou urbains.
Voilà un beau programme, pour y arriver, vous et les membres de votre association avez une certaine expérience et une formation dans ce domaine ?
Je ne crois pas qu’il y ait de profil type pour se lancer. Pour ma part, j’ai commencé par un BTS en gestion et protection de la nature ; j’ai ensuite obtenu un diplôme universitaire d’ethnobotanique appliquée (DU), un autre d’ingénieur juriste et me voilà désormais écologue. Par la suite, j’ai pratiqué plusieurs métiers, toujours plus ou moins liés à ce domaine : paysagiste, horticulteur, saisonnier en montagne ; j’ai aussi travaillé en tant que chargé d’études pour l’INRA (Institut National pour la Recherche Agronomique) et l’Office National des Forêts puis en tant qu’ethno botaniste dans le parc du Queyras. C’est une mission pour le PnrVf (Parc naturel régional du Vexin français) qui m’a ramené dans le secteur, qui est, par ailleurs, ma région natale puisque j’ai grandi en pleine nature sur le plateau Saint-Sauveur à Limay.
Effectivement, votre expérience dans l’environnement est profonde et très variée, mais pourquoi avoir créé la SEVE et pourquoi Sailly ?
Comme souvent, tout ceci est un peu le fait du hasard. Les locaux de la ferme de la Cure appartenaient à un agriculteur local, M. Debellay, et j’ai tout de suite été séduit et attiré par ce magnifique lieu de plus de trois cents ans. Depuis 2008, la ferme a évolué à son rythme, les activités et les expérimentations se sont affinées et ce modeste endroit est maintenant bien connu dans le monde permacole. Plus tard en 2015, avec d’autres experts, amis et professionnels de l’environnement qui étaient comme moi convaincus que l’on pouvait changer nos habitudes, nous avons créé cette association. Ils avaient aussi envie d’œuvrer à l’éducation du grand public. A cette époque, nous n’avions aucun salarié ; nous étions tous bénévoles. Nous avons commencé en appliquant les principes de la permaculture : chaque pôle génère suffisamment d’argent, ce qui permet d’embaucher de nouveaux collaborateurs et ainsi de suite, pas à pas. Nous sommes, sept ans plus tard, bien structurés et avons, en plus des deux cent cinquante membres de l’association, cinq salariés, un directeur bénévole et quelques jeunes (deux par an) en service civique. Toujours comme en permaculture, nous essayons de nous adapter, de comprendre, d’améliorer et d’observer ; c’est de cette façon que nous grandissons.
Vous avez employé le mot « permaculure » ; c’est un terme que l’on entend beaucoup, de quoi s’agit-il au juste ?
C’est une pratique qui trouve sa source en Australie ; elle a été conceptualisée dans les années 70 par deux agronomes (Bill Mollison et David Holmgren) ; son nom vient de l’anglais « permanent agriculture » qui a évolué au fil des ans en « permaculture » car la pratique est bien plus vaste que le simple champ du jardin. Tous les deux, prenant conscience des conséquences générées par le progrès, ont pris en compte tous les éléments environnementaux. La permaculture est née de l’observation des écosystèmes naturels dans les régions où elle est mise en pratique. Elle est basée sur trois piliers éthiques que je traduis ainsi : prendre soin de l’humanité, prendre soin de la planète et créer l’abondance dans le but de la partager.
On pourrait appliquer cette technique à beaucoup de domaines ; pour ma part, je la considère comme un véritable art à la croisée des sciences.
Et comment mettez-vous en pratique ces principes pour l’éducation et la formation ?
Nous avons pour cela un formidable outil : les 2 600 m² du jardin de la ferme de la Cure. Sur cette surface très modeste, nous reproduisons ce qui se passe dans le milieu naturel et obtenons des résultats très intéressants. Les rendements en permaculture sont généralement multipliés par dix par rapport à l’agriculture conventionnelle. Nous accueillons des groupes à la ferme pour les initier et les former aux techniques de permaculture. Nous avons pour principe de faire comprendre et nous ne luttons pas contre mais accompagnons le changement des pratiques par la connaissance, grâce aux sciences. Nous avons pour vocation d’apporter les savoirs écologiques nécessaires à la valorisation du jardin à TOUS les publics.
Nous recevons donc des familles, des enfants des écoles ou de centres aérés par exemple, des adultes en reconversion, des pensionnaires d’IME (instituts médicaux-éducatif), d’ESAT (établissements ou services d’aide par le travail) et de pénitenciers. Mais nous ne faisons pas que recevoir, nous nous déplaçons aussi sur les sites régulièrement. Nous sommes aussi appelés à former des professionnels de collectivités dans une démarche écologique. Il faut savoir que si notre école de permaculture est la première de ce type en Île- de-France, elle est aussi la seule à avoir un comité éthique et scientifique !
Il nous arrive aussi de faire de l’accompagnement « sur mesure » ; dans tous les cas, avant de mettre en place un projet et pour qu’il soit bien défini, nous proposons un moment d’échanges : c’est ce que nous appelons « la raison d’être ». Ensuite lors d’une deuxième rencontre, nous définissons la stratégie qui va être mise en œuvre et enfin, une fois le projet accompli, une phase dite de « restitution » est organisée avec tous les acteurs ; elle permet de savoir si le document cadre correspond bien aux attentes. Encore une fois, je le rappelle, notre but est vraiment de transmettre notre savoir de façon à rendre autonomes les acteurs qui ont participé à la formation. Nous en sommes actuellement à notre 45ème initiation à la permaculture. J’ai aussi participé à de nombreux Cours de Conception en Permaculture (CCP ou PDC) en tant que formateur, nous commençons donc à avoir une certaine expérience…
J’ai également lu que l’association disposait d’un pôle « bureau d’études », quel est son rôle ?
Il a justement été créé pour adapter et réaliser les ambitions des personnes ou des collectivités qui viennent vers nous. Ses membres prennent en considération toutes les interactions du projet et tiennent particulièrement compte de la mise en place d’une forme d’autonomie, celle-ci est essentielle pour nous. Dans toutes nos réalisations, nous essayons avant tout d’intégrer et d’impliquer au maximum tous les acteurs.
Vous avez des locaux à entretenir, des salaires à verser, quelles sont vos ressources ?
Il faut préciser avant tout que nous n’avons reçu aucune subvention les cinq premières années et ce fut un vrai choix ! Toutefois, comme je vous le disais précédemment, nous avons grandi sagement, pas à pas et nos revenus ont toujours été et sont encore en adéquation avec ce souci. Notre budget annuel est d’environ 250 000 € ; il correspond à ce qui est payé par les personnes, associations, sociétés, etc. que nous formons ou pour lesquelles nous intervenons. Il n’y a pas de tarif prédéfini, le prix est libre… et depuis sept ans, nous y arrivons !
Nous avons aussi « un marché à la ferme » où nous invitons les producteurs de proximité à venir vendre dans nos locaux de la Cure ; quant aux productions de notre jardin, elles ne se vendent pas, si besoin nous les offrons.
Vous pouvez trouver nos jours et heures d’ouverture sur notre site www.seve-asso.fr. Enfin, nous avons plusieurs partenaires ; vous pourrez aussi les trouver sur notre site Internet, qui nous soutiennent techniquement et/ou financièrement ; ils sont un véritable plus pour le bon développement de nos projets. Désormais, les dons mensuels défiscalisés permettent à chacun de soutenir notre action sur le long terme.
Nous arrivons maintenant à la fin de notre entretien, parlons un peu de l’avenir, comment le voyez-vous ?
Comme pour beaucoup d’associations loi de 1901, prévoir le futur n’est pas simple… Il y a tant d’éléments qui peuvent intervenir sur l’évolution de la SEVE. Je pense que notre équipe pourrait s’étoffer, les lieux dans lesquels nous accueillons le public vont sans doute évoluer grâce au bénévolat, mais dans quelle mesure ? Il est difficile de répondre à ces questions. Ce que nous savons, c’est que des élus, des institutions, des financeurs nous font confiance et croient en nos projets et fort heureusement, nous n’avons plus à prouver que nous savons faire…
J’aimerais bien sûr que d’autres nous rejoignent et viennent grossir nos rangs, mais avant tout je ne perds pas de vue notre objectif qui est de « mettre en lien », un peu comme ces modestes champignons du sol qui font circuler l’eau et les nutriments d’un végétal à l’autre afin que circule la SEVE…
Un grand merci M. Peyrouty, nos lecteurs vont maintenant mieux comprendre le concept de permaculture, bravo à votre association qui participe à cet apprentissage et qui œuvre largement pour la sauvegarde de notre patrimoine et de notre environnement.
Propos recueillis par Jannick Denouël