Vincent Maillard, documentariste
Les fondamentalistes vont bien sûr dire que ce n’est pas tout à fait du cinéma, mais le monde du documentaire n’en est tout de même pas très éloigné, d’autant plus que notre interviewé du jour est également scénariste, alors…
Bonjour Vincent, merci d’accorder un peu de temps à nos lecteurs. D’abord, la question, c’est quoi un « documentariste » ?
C’est un réalisateur de documentaires, c’est-à-dire de films qui puisent leur matière dans la réalité et non la fiction mais qui, à la différence d’un reportage, doivent être réalisés comme de vrais films, avec une forme narrative originale et un vrai point de vue. Le reportage relate les faits et les livre d’une façon la plus journalistique possible alors que dans un documentaire le réalisateur s’engage et assume un regard particulier, notamment dans la forme, à travers ses choix de réalisation.
Très bien, merci pour ces éclaircissements. Au fait, comment devient-on documentariste, quel a été votre parcours ?
Eh bien précisément, je viens du journalisme, raison pour laquelle, peut-être, je suis attentif à ces distinctions entre le reportage et le documentaire.
Après des études classiques, d’abord au collège à Meulan, j’habitais alors à Mézy, puis au lycée des Mureaux, je suis allé en faculté à Paris pour étudier les sciences économiques et sociales. Des études diversifiées, sans doute parce que je ne voulais pas m’enfermer dans une spécialité, on y étudie l’histoire, la géographie, l’économie et le droit. Nous étions au début des années 80 et j’étais à cette époque assez engagé dans les syndicats universitaires, je m’intéressais beaucoup (et c’est toujours le cas) à la politique et à l’actualité.
Mais quelle est la passerelle entre les sciences économiques et sociales et le documentaire, ce sont deux choses qui semblent assez éloignées, non ?
Eh bien, le journalisme justement. Après ma maîtrise, j’ai effectué mon service militaire ; j’ai été affecté à la base de Verneuil, il y avait à cette époque une antenne de la Marine Nationale sur ce site, et avais beaucoup de temps libre que j’ai utilisé pour la lecture. Donc j’ai lu… beaucoup. Je lisais le Monde. Je me suis inscrit au concours de l’école de journalisme de Paris, le fameux « CFJ », concours réputé difficile, et, à ma grande surprise, ai été reçu. Me voilà donc dans cette école pour deux années très denses. Durant la deuxième année, il fallait choisir une spécialité, j’ai décidé de devenir Journaliste Reporter Image (JRI), c’est-à -dire « journaliste cameraman » ; c’était une spécialité nouvelle à cette époque (auparavant les cameramen étaient des techniciens de la prise de vue). Le JRI est un journaliste qui se déplace sur le lieu de l’évènement, comme les autres, mais qui, en plus, est capable de tourner et monter les images ; le plus souvent, ce travail est réalisé pour un journal télévisé ou pour un magazine de reportages. J’ai toujours eu un grand intérêt pour l’image et cette année de formation m’a permis de savoir filmer, de savoir monter et de m’acclimater à la « grammaire des images », comme on dit.
Vous voilà donc JRI, et alors ?
A l’issue de cette formation, j’ai débuté à FR3 Bretagne. J’ai ensuite travaillé pour France 2, là, j’ai réalisé des reportages pour le journal télévisé et certains magazines comme « Envoyé spécial », Stade 2, Geopolis… je suis aussi devenu ce que l’on appelle « grand reporter » ; j’ai travaillé pour France Télévision pendant dix ans ! J’avais malgré tout un sentiment d’étroitesse. Le métier de JRI se limitait trop au simple fait de filmer. Je n’écrivais plus ou très peu, et c’était pour moi un réel manque. Et puis le journalisme à la télévision a toujours été un exercice compliqué… pas toujours très indépendant du pouvoir en place. C’est à cette époque que je me suis lancé dans le documentaire.
Comment trouviez-vous le temps de les réaliser en travaillant pour la télévision ?
Nous avions la possibilité de prendre des congés sans solde ; je les ai utilisés pour mes premiers films. J’ai tout de suite ressenti beaucoup d’intérêt pour ce genre. Ainsi en 1999, j’ai commencé mon premier ouvrage « Ceux qui possèdent si peu… », un film qui raconte le parcours d’élèves de SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté) de Meulan ; j’ai suivi leur évolution pendant plusieurs années. La version finale du film raconte leur vie sur plus de quinze ans. Elle a été diffusée sur France 2 en 2012 et a obtenu la mention spéciale du jury au festival international du film d’éducation en 2011.
J’ai depuis réalisé une douzaine de documentaires dans des genres très différents. J’aime aborder des thèmes scientifiques, comme « Equation ultime », qui a été diffusé durant la « Nuit des étoiles » ou au contraire essayer de raconter des trajectoires de vies qui me semblent « parlantes ». Le travail avec la télévision n’est pas simple : il faut écrire un dossier précis et détaillé de ce que l’on compte faire, on y passe beaucoup de temps et, malheureusement, le projet n’est pas toujours accepté…
Je travaille actuellement sur un film qui a intéressé France 2. Il s’agit d’un documentaire, « Pauline Dubuisson, l’impossible oubli… » qui rappelle l’homicide commis par cette jeune femme et son retentissant procès dans les années 50. C’est l’histoire d’une femme qui voulait simplement être libre ; le film est composé d’archives, de photos d’époque et d’images tournées sur les lieux où elle a vécu. Pour ce film, j’ai aussi travaillé avec un dessinateur talentueux. C’est souvent dans la recherche formelle, dans la forme du récit et de sa mise en image que réside tout l’intérêt de ce métier.
Vous avez aussi participé à des fictions ?
Oui effectivement, mais dans ce cas je ne suis pas réalisateur mais scénariste, c’est une autre des mes activités. J’ai écrit le scénario de deux films dont l’un « Valparaiso », diffusé en 2012 par Arte, a reçu le prix du meilleur scénario au Festival de la fiction TV à La Rochelle en 2011. L’écriture de scénarios est très difficile lorsque l’on développe ses propres idées. La plupart des scénaristes à temps plein travaillent surtout en équipe sur des séries ou des feuilletons. C’est encore plus compliqué de faire aboutir une fiction qu’un documentaire, ce sont des budgets beaucoup plus élevés et les places sont encore plus chères.
A propos de scénario, vous venez de publier un roman, est-ce une suite logique ?
Eh bien justement le roman qui vient de sortir « Springteen sur Seine » était initialement un scénario que je destinais à Arte, encore un de ceux qui est resté dans mes tiroirs ; j’ai eu envie d’en faire un roman et j’y ai pris beaucoup de plaisir ; d’abord le fait de parler de cette région où j’ai grandi (j’ai habité longtemps à Paris et suis revenu maintenant à Hardricourt), elle fait partie de ces zones « entre deux », pas vraiment urbaines mais pas rurales non plus et aussi de mettre en scène un personnage qu’on peut qualifier d’ordinaire. L’écriture d’un scénario est très différente de celle d’un roman. Pour un scénario, l’écriture doit être la plus épurée possible et se concentrer sur les dialogues ; les spectateurs verront les acteurs, leurs réactions, leurs émotions. Pour un roman, l’écriture elle-même est une finalité ; il n’y aura rien d’autre que les mots pour raconter notamment l’intériorité des personnages.
Pour ma part, pour avoir lu votre roman, je l’imagine très bien porté à l’écran, non ?
Bien sûr, ce n’est pas exclu et je ne désespère pas de trouver un réalisateur et un producteur, dans ce cas le travail sera simplifié puisqu’il s’agissait au départ d’un scénario…
Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Toujours dans le but de réaliser des documentaires, j’ai l’intention de parler un peu plus de notre région, celle décrite dans mon roman, de la comparer à ce qu’elle était « avant » et de raconter ce qu’elle est devenue. Comme toujours, l’intention est d’être au plus près des gens qui l’habitent, de leurs combats, en particulier ceux liés à l’environnement comme celui que mènent actuellement des habitants et des élus des communes du secteur pour empêcher le creusement des carrières de Calcia dans le Vexin. Tout ce qui peut faire se rassembler les hommes et les femmes pour une cause commune m’intéresse. Enfin, je suis en période de réflexion sur ces sujets.
Merci beaucoup Vincent pour toutes ces explications, bravo pour vos réalisations et bonne chance à votre roman…
Propos recueillis par Jannick Denouël
Vincent Maillard présentera son roman « Springsteen sur Seine » le 12 octobre à la bibliothèque de Mézy.