Espérance ou souci ?
L’espérance est la vertu qui trouve sa place entre la foi qui est confiance en Dieu et la charité qui est l’amour en actes concrets. L’espérance se fonde sur Dieu ; l’espoir, lui, est un sentiment humain.
L’espérance serait-elle absence de soucis ou du moins capacité immédiate de les tenir à distance, de les minimiser ? Non pas forcément. Le souci peut être fondé, il peut être violent ; en outre, une angoisse peut nous habiter en permanence, toujours prête à renaître et à se projeter sur un événement ou un autre. L’espérance ne consiste pas alors à nous sentir paisible et fort, sereinement au-dessus de la mêlée. Elle consiste à savoir et à vouloir remettre à Dieu le souci, l’angoisse, l’épreuve, dans une prière aussi fréquemment reprise qu’il sera nécessaire (cf Philippiens 4,6). Une intercession ardente, dans laquelle, avec notre souci, c’est nous-mêmes que nous remettons entre les mains de Dieu. Et une prière qui n’oubliera pas de rendre grâce d’emblée, affirmant ainsi qu’elle se sait devancée par les promesses de Dieu et appuyée sur celles-ci. « Voici ce qui me console dans l’épreuve : ta promesse me fait vivre ! » (Ps 119).
Voilà donc l’espérance : une détermination de l’être, une attitude sans raideur ni crispation, sans faiblesse non plus, ni retour sur nous-mêmes et nos sentiments. En rendant grâce, l’espérance s’ouvre à l’avenir de Dieu, elle le reconnait, le reçoit, fait un pas pour la rejoindre. Oui, voilà l’espérance : non pas une absence de souci, mais le renoncement à les laisser s’installer en nous, le refus courageux de les laisser nourrir l’angoisse.
C’est qu’à notre insu, les soucis, l’inquiétude, peuvent faire notre affaire : justifier nos découragements, nos paresses, nos apitoiements sur nous-mêmes, notre sentiment aigre-doux d’être une victime. Avec cela, audacieusement, l’espérance coupe court – sans dureté mais fermement- : son regard est ailleurs. Elle ne se fait pas d’illusions : elle devra, pour couper court, s’y reprendre souvent, avec patience… L’espérance n’est pas en nous un état, sinon occasionnellement ; c’est une lutte, un combat non pas contre nous-mêmes mais pour nous-mêmes : pour que notre être s’unifie progressivement dans cette polarisation sur l’avenir et pour que la lumière de cet avenir soit plus forte que nos ténèbres.
L’espérance ne va pas dans le sens de notre pente la plus spontanée. Volontiers notre être intérieur s’assoupit, cherche sa sécurité, s’indigne quand elle lui manque. L’espérance, elle, est sursaut et conversion, regard levé et porté au loin, intelligence du cœur et vigilance de l’esprit.
Eric Le Scanff