Et Henri Desgranges créa le tour de France
En juin dernier, nous vous avions parlé de ces trois géants du sport français et international qui ont été à la base de la création des trois plus grands évènements sportifs mondiaux que sont les Jeux Olympiques, la coupe du monde de football et le Tour de France ; nous avions débuté par la présentation de Jules Rimet qui est à l’origine de la coupe du monde de football. Pendant les vacances, au mois de juillet, tout au long des routes françaises et sur nos écrans de télévision, des millions de spectateurs ont applaudi les exploits de ceux que l’on appelle les « forçats de la route » : les coureurs du Tour de France ; voici donc l’histoire de celui qui en est à la source, son « père », le parisien Henri Desgranges.
Il est né en 1865 dans le dixième arrondissement à Paris, son père est architecte et dirige une petite entreprise de maçonnerie. Il fait d’abord de solides études au lycée Rollin et obtient son baccalauréat avec une année d’avance. Il enchaîne avec des études de droit et obtiendra sa licence à tout juste 20 ans ! Il n’a pas vraiment envie de succéder à son père dans l’entreprise familiale ; il préfère alors l’étude d’un notaire, dont il deviendra clerc et par la suite, avocat à la cour d’appel de Paris ; mais le sport va très vite l’emporter sur les salles de tribunal.
En effet, dès la première édition de la grande course de vélo Bordeaux-Paris en 1891, il se passionne pour le sport cycliste ; il s’entraîne alors quotidiennement et atteint rapidement le niveau des meilleurs pistards. En 1893, il va même établir le premier record du monde de l’heure sans entraîneur en courant plus de 35 km ! Cette même année, il va battre plusieurs records, celui du 50 km, celui du 100 km et celui du 100 miles…et choisit le métier de coureur professionnel. Toutefois sa carrière chez les « pros » va être relativement courte ; il y mettra fin en 1895 pour se consacrer à sa nouvelle passion : le journalisme.
Rédacteur en chef de l’Auto-Vélo
C’est dans l’hebdomadaire « Bicyclette » que va commencer sa nouvelle fonction ; il y écrira des chroniques (plutôt acides) qui vont lui permettre de rencontrer le comte Albert de Dion, célèbre pour ses automobiles et d’autres personnalités, dont Edouard Michelin, toutes liées à cette nouvelle industrie : il est nommé directeur-rédacteur en chef d’un nouveau journal, « l’Auto-Vélo », dont le premier numéro va paraître le 16 octobre 1900 au moment où l’exposition universelle et les Jeux Olympiques prennent fin. Il est imprimé sur du papier jaune et coûte …5 centimes ! On y parlera d’automobile bien sûr, mais aussi et c’est précisé dans le titre, de cyclisme et encore d’athlétisme, de yachting, d’aérostation, d’escrime et d’hippisme…
Les débuts de ce nouveau journal sont timides ; il peine à concurrencer son principal rival « Le Vélo ». Henri Desgranges décide donc de créer l’évènement en organisant des compétitions sportives. Dans un premier temps , « l’Auto-Vélo » chipe la grande course « Paris-Brest-Paris » (une épreuve qui existe encore aujourd’hui) à son concurrent ; c’est un succès et les ventes du journal explosent. Henri Desgranges persiste et propose en 1902 une nouvelle course « Marseille-Paris », mais déjà l’idée d’une grande course, une sorte de « tour », trotte dans la tête d’un de ses collaborateurs, Géo Lefèvre. Le concept, d’abord jugé un peu fou par les dirigeants de « l’Auto-Vélo », finit par les séduire. Aussi, dès l’année suivante en 1903, sera organisé le premier Tour de France ! Son directeur de course n’est autre que Geo Lefèvre, celui-là même qui était à l’origine de ce qui pouvait sembler une folie.
Ce tour très difficile, seulement vingt et un coureurs arriveront à son terme, sera un grand succès et permettra à « l’Auto » de devenir le premier quotidien sportif de France.
Vous connaissez la suite : le Tour ne s’est arrêté que pendant les années de guerre, 1915-1918 d’abord puis 1940-1946. Quant au journal « l’Auto », il va cesser de paraître en 1944 au moment de la Libération, certains articles étant jugés un peu trop « pro-allemands », mais c’est un de ses journalistes, Jacques Goddet, directeur de « l’Auto » depuis 1931, qui va reprendre le flambeau en organisant le premier Tour de France d’après guerre et en créant celui qui reste le grand quotidien sportif : « l’Equipe » !
Au cœur des polémiques !
Henri Desgranges a toujours été un personnage complexe ; il s’est plusieurs fois retrouvé au cœur de sombres polémiques : d’abord avant guerre, le Tour entre plusieurs fois en territoire allemand (dans le but de réveiller l’esprit patriotique dans les territoires cédés en 1870 ?), puis en 1914 suite à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, (dans une chronique, il appelle alors à lever les armes contre les Prussiens). Enfin, ses liens avec les groupes nationalistes et financiers en ont fait une des cibles préférées des journaux de gauche de l’époque.
Il faut cependant reconnaître qu’au cours des années, il n’a eu cesse de mettre tout en œuvre pour que la grande boucle garde son intérêt, la faisant courir par équipes nationales en 1930, y intégrant une caravane publicitaire dès 1931…et aussi en instaurant un droit de passage du Tour aux villes étapes !
Henri Desgranges est décédé en 1940. Une stèle a été érigée en son souvenir au col du Galibier et un prix qui porte son nom est également attribué chaque année au journaliste, écrivain ou artiste français qui a le mieux servi la cause du sport. Il restera pour toujours le père de ce qui est sans doute encore aujourd’hui la plus grande manifestation sportive du Monde (1) !
1) : en effet, si les Jeux Olympiques ou la coupe du Monde de football intéressent plus de téléspectateurs, ils n’ ont lieu que tous les quatre ans, alors que le Tour est organisé chaque année, et de plus, le Tour en parcourant la France accueille tout au long des routes un nombre beaucoup plus important de spectateurs…