Et qui est mon prochain ?
Voilà une question qui nous paraît bien facile, à nous chrétiens du XXIème siècle. C’est un jeune légiste qui l’a posée à Jésus. Et comme souvent lorsque Jésus se voit poser une question subtile, il répond par une histoire : celle du bon samaritain (Lc 10, 25-37).
Un homme, descendant de Jérusalem à Jéricho, tombe entre les mains de bandits qui le frappent, le dépouillent, le laissant à moitié mort sur le bord de la route. Plusieurs voyageurs le voient (un prêtre, un lévite) : ils l’ignorent, ne prêtent pas attention à l’état de détresse où il se trouve. Il faut dire que, selon la loi de Moïse, toucher un blessé les auraient rendus impurs. Un samaritain passe à son tour ; à la différence des deux premiers voyageurs, il est saisi de compassion, il prend soin de lui, panse ses plaies (« avec du vin et de l’huile » précise Jésus), le charge sur sa monture, et comme il ne lui est pas possible de le guérir complètement, il le confie à un aubergiste.
Jésus termine par la question qui devrait mettre le légiste sur la voie : « qui, d’après toi, s’est montré le prochain de l’homme tombé entre les mains des brigands ? » et l’homme de loi de répondre : « celui qui a pratiqué la miséricorde à son égard ».
Conclusion proposée par Jésus : « va, et toi aussi, fais de même ».
Jésus a bien posé la question sous cette forme : qui est le prochain de l’homme victime des brigands ? Qui est le prochain de celui qui a subi le mal ? Qui est le prochain de celui qui est près de mourir, victime de la violence, de la rapacité des hommes ?
Ce que l’homme de loi a découvert grâce à cette pédagogie merveilleuse de Jésus : le prochain, c’est celui qui a eu pitié, qui a soigné, qui a fait œuvre de miséricorde. Ce n’est pas le blessé mourant qui est le prochain des trois hommes de la parabole (le lévite, le prêtre et le samaritain), c’est le samaritain qui s’est montré le prochain de la victime.
Et si nous, hommes du XXIème siècle de la banlieue de Paris plongés en plein confinement, nous nous posions cette question : « qui est mon prochain ? ». Si nous revenons à l’Évangile, nous entendrons la réponse inspirée par Jésus au jeune légiste : c’est celui qui fait preuve de miséricorde à notre égard. C’est celui qui nous soigne, qui prend soin de nous. Et nous sommes invités à « l’aimer comme nous-mêmes ».
Si nous poursuivons notre méditation, nous allons nous interroger : sommes-nous malades ? Sommes-nous victimes d’agression ? Sommes-nous tombés dans les mains de ceux qui par cupidité commettent le mal, n’hésitant pas à tuer ? Et même : commettons-nous le mal ? Ne serions-nous pas de temps en temps le samaritain, de temps en temps un peu bandits ? Serions-nous capables de découvrir le mal qui nous dénature, le mal qui nous abîme, le mal qui veut notre perte ? Serions-nous capables de nous avouer notre faiblesse, notre vulnérabilité face à ceux qui mettent la violence à leur service ?
Si nous ne le reconnaissons pas, si nous avons la certitude d’être bien honnêtes, sans aucun problème avec autrui, avec nos proches, confortablement installés dans une vie tiède, alors nous n’avons pas besoin d’être soignés, pas besoin d’être pris en charge ni secourus. Parfois, si nous sommes capables de reconnaître nos faiblesses, nos manques, nous sommes persuadés pouvoir nous en sortir seuls, sans l’aide de grand monde (et encore moins de Jésus Sauveur).
Si nous ne percevons pas la nécessité impérieuse d’être libérés du mal, alors c’est dramatique : notre prochain ne se manifestera pas à nous ; nous l’ignorerons, nous ne pourrons pas l’aimer « comme nous-mêmes ».
Pour que la loi d’amour règne dans le monde, il faut que nous reconnaissions nos faiblesses, nos blessures, profondes ou pas, nos actions mauvaises : c’est ainsi que notre prochain, au nom de Jésus Sauveur, bon Samaritain Universel, Sauveur de tous ceux qui pérégrinent sur le chemin de la vie, viendra nous guérir, nous confier à un aubergiste qui prendra soin de nous.
Il faudrait confronter ce point de vue avec la nécessité de la charité : saint Paul note que « si je n’ai pas la charité, je suis une cymbale qui sonne creux ». La charité (la fraternité, en version laïque) exige que nous considérions tout homme comme frère, fils du même Dieu et que nous nous souciions de lui, que nous en prenions soin. Tout homme, fils du Père, mérite notre amour (« tu aimeras ton prochain comme toi-même »), même s’il n’est pas venu nous soigner, nous prendre en miséricorde.
Jésus nous l’a enseigné, mais pas à l’aide de cette parabole.