François 1er et Léonard de Vinci
Il y a cinq cents ans, s’éteignait, au château de Cloux, aujourd’hui Clos Lucé, près d’Amboise, Leonardo da Vinci l’un des plus grands, sinon le plus grand humaniste de la Renaissance. C’était un artiste mais aussi un technicien futuriste. François Ier l’attira en France ramenant avec lui un grand nombre d’œuvres d’art, gloires de nos musées.
Donnons la parole à ces deux personnalités exceptionnelles.
François Ier : « Je suis le fils de Charles de Valois-Angoulême et de Louise de Savoie ; je suis né en 1494 à Cognac et, le 18 mars 1514, j’ai épousé Claude de France, la fille de mon cousin le roi Louis XII auquel j’ai succédé le 1er janvier 1515 à la faveur de la loi salique. A la suite de Charles VIII et de Louis XII, j’ai immédiatement repris les guerres d’Italie, faisant valoir à mon tour nos droits sur le duché de Milan, hérité de notre aïeule Valentine Visconti(¹). J’avoue que j’avais surtout besoin de la gloire que procurent les armes : l’Italie me l’offrit. Ce fut une rude bataille que Marignan (septembre 1515) qui vit périr 16 500 hommes, surtout des Suisses. C’est sur le terrain de cet exploit que j’ai demandé à Bayard de m’armer chevalier. A la gloire des armes je souhaitais joindre celle des arts, autre passion royale mais aussi personnelle. Je vais de ce pas rencontrer Leonardo da Vinci et espère l’attirer en France.
Léonardo da Vinci : sire, votre visite m’honore grandement.
François Ier : j’avais grande hâte de vous connaître et d’admirer quelques-unes de vos œuvres, de vous en acheter si possible. Mais parlez-moi tout d’abord de vous, de ce que vous aimez, de votre technique de peinture, de vos collections.
L de Vinci : je suis né à Vinci près de Florence, le 15 avril 1452, de l’union illégitime d’un notable et d’une servante ; est-ce la raison de ma grande timidité ? Je redoute les grands de ce monde et pourtant je suis heureux d’accueillir le roi de France ! A l’âge de seize ans je fus mis à bonne école dans l’atelier de Verrocchio (1435-1488) qui était tout à la fois orfèvre sculpteur et peintre ; j’y ai côtoyé des artistes de talent tel Botticelli, puis j’ai servi des princes en tant qu’ingénieur ou organisateur de fêtes : les Sforza de Milan, César Borgia à Florence. Quant à ma technique de peinture, elle se caractérise par « le sfumato », car si dans tous mes dessins, et j’en ai des cahiers entiers, le trait est d’une grande précision dans ma peinture à l’huile il est comme noyé dans le brouillard ; le « sfumato » tient lieu de contour. Voyez « Mona Lisa di Joconda » dont votre regard, sire a bien du mal à se détacher !
François Ier : l’Italie regorge de grands artistes, il n’en va pas de même en France qui reste tributaire de son aînée. Mon prédécesseur, le roi Louis XII, avait acquis votre « Vierge aux rochers » et il avait été tellement frappé par votre fresque de la Cène du couvent des Dominicains qu’il avait même projeté de la faire détacher du mur pour la remonter en France mais ses courtisans l’en dissuadèrent et il finit par demander à un groupe d’artistes italiens de moindre talent de venir travailler chez nous, principalement au château de Fontainebleau. J’ai d’autres ambitions et je vous propose de vous installer dans mon pays, d’y choisir un palais dans la plus belle province de France et je vous offre en sus sept mille pièces d’or. Qu’en pensez-vous ?
L de Vinci : sire quelle extraordinaire proposition vous me faites ! Mais à mon grand âge, 63 ans déjà, je n’ose l’accepter ; je redoute le voyage et tout ce que je laisserai ici… mais d’un autre côté, à Rome où je suis arrivé en 1516, je n’ai plus d’avenir car les grands mécènes que sont les papes Jules II et maintenant Léon X ont fait choix de Raphaël et Michel-Ange… alors pourquoi pas la France ?
François Ier : je suis très ému, Léonard a accepté ma proposition ; il a choisi comme résidence le charmant et modeste château de Cloux dans mon domaine d’Amboise où Anne de Bretagne se rendait jadis avec le petit dauphin Charles-Orland, mort à trois ans de la petite vérole. Léonard emmène avec lui un de ses élèves, Francesco Melzi, et moi la Joconde qui m’a coûté, avouons-le, quatre mille ducats ! Je lui verserai en outre une pension annuelle de sept cents écus.
1516
L de Vinci : ouf ! je suis arrivé à Cloux, un bien joli manoir et j’y serai surement heureux et malgré mes rhumatismes, je me mets tout de suite au travail : le roi m’a demandé de concevoir un château grandiose (ce sera Chambord) car « tel est son bon plaisir ». Je fais aussi des projets d’assainissement de la Sologne. Mon goût pour l’organisation des fêtes vient de s’exprimer dans de féériques illuminations devant la cour ébahie… mais je suis bien fatigué
Fin mai 1519
François Ier : je viens d’apprendre que mon très cher Léonard est mort, le 2 mai au château de Cloux où je pense il y était heureux. Il aura travaillé jusqu’au bout de ses forces et marqué à jamais son empreinte en France qui conservera nombre de ses œuvres dans ses collections royales. Je pense à « la Vierge aux rochers », à la « Vierge, l’enfant et sainte Anne », à son « Saint Jean Baptiste » que j’avais pris pour Bacchus et à ses admirables portraits : « la Belle Ferronnière » et bien entendu ma chère « Mona Lisa » ! J’apporterai un soin jaloux à la préservation de ses manuscrits, de tous ses dessins qui témoignent de son sens de l’observation de la nature et de son génie technique ; peut-être pourrons nous réaliser l’une ou l’autre de ses inventions. Je pleure un ami d’autant que pris par la politique(2), je n’ai pas recueilli son dernier souffle ; que Dieu me le pardonne.
(1) Valentine Visconti, duchesse de Milan, a épousé Louis d’Orléans, frère de Charles VI qui sera assassiné par Jean sans Peur, duc de Bourgogne (1407).
(2) Il s’agit de la mort de l’empereur Maximilien d’Autriche et des prétentions de François I à ceindre la couronne impériale mais il y a d’autres prétendants dont Henri VIII, roi d’Angleterre et Charles V dit Charles Quint, roi d’Espagne qui l’emportera.