Habitué à la violence ou habitué de la violence ?
C’est un lieu commun d’avancer que notre monde semble s’embourber dans une spirale de violence sans fin. Les trêves ne durent que peu de temps, comme une brume légère dissipée par le souffle nauséabond des conflits en tout genre. Cette année, cette violence a répondu également présent le jour de la rentrée de nos enfants. L’odeur du cuir des cartables a laissé place à celle des bandoulières des armes des forces de l’ordre postées à la sortie de nos écoles. Désormais, la rentrée est loin derrière nous, mais une question demeure : faudra-t-il s’habituer à la violence ? Faut-il s’habituer à y répondre par une autre forme de violence ? A ces questions, il n’est pas de réponse aisée. Nous nous risquons, cependant, à cette esquisse, humble réflexion, conscient qu’arpenter le sentier de la paix est moins une course de vitesse qu’une course de fond.
Habitués à la violence ?
Il nous faudra, certainement, encore vivre quelques temps dans un certain climat de tension. Selon quelques spécialistes, la menace terroriste par exemple planera sur notre pays encore quelques années. Sans parler de la violence plus commune. Notre réalité semble, donc, se résumer à cette vanité d’un monde violent, agressif et désolant, écho de ce triste constat fait par Dieu avant le déluge, « ils ont rempli la terre de violence » (Genèse 6.9).
Habitués de la violence ?
Le principe de réalité veut qu’il nous faut donc nous « habituer à la violence », mais nullement à être des « habitués de la violence ». Autrement dit, si nous ne pouvons pas grand-chose à la réalité de la violence, il nous appartient de ne pas nous laisser endormir par la mélodie enivrante du fatalisme, du fanatisme. « Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui » disait Martin Luther King.
Soyons donc comme ce lointain porte-parole de Dieu, Habacuc, des « indignés de la violence ». Des « indignés » qui questionnent cette violence, qui crient même face à elle (Job 19.7). Cependant, ne nous lassons pas, ne nous laissons pas tenter par la loi du talion, en geste, en parole ou en pensée. En tant que croyants, chrétiens, il nous appartient de nous indigner de ce monde violent à la lumière de cette lampe qui éclaire notre sentier, la Bible. Nous y découvrons un chemin réaliste d’espérance, chemin de vie, de paix !
« C’est la faute à la société ! »
Nous indigner et dénoncer les maux de notre société comme seule cause de toute cette violence reste possible, mais est-ce satisfaisant ? Jeter la pierre, est-ce une réponse suffisante à la violence qui nous entoure ? En agissant ainsi, ne cherchons-nous pas à nous dédouaner, nous dispenser de réfléchir à notre responsabilité pour résoudre le problème ?
Mauvaise herbe ou mauvaise feuille ?
Cette violence, qui nous assaille tant, vient en effet à la rencontre de notre for intérieur et nous questionne : qu’est-ce qui vibre au fond de notre être face à ce fléau ? Sommes-nous si incapables que cela de violence ? Peut-être pas de violence meurtrière, mais la méditation du sermon sur la montagne, nous invite à ne pas laisser le bruit des guerres couvrir la réalité de notre être. Dans ses enseignements, Jésus nous conduit sur le sentier de la vérité sur nous-mêmes et sur l’état de ce monde. Pour nous-mêmes, reconnaissons que de notre cœur peuvent jaillir bien des pensées destructrices, des actions dévastatrices. Or, Jésus nous invite à aller plus loin que simplement regarder les feuilles noircies par la violence, pour descendre à la racine, au fond de notre cœur d’où vient la violence potentielle !
Jésus, qui « a été pris par la violence et le jugement […] à cause des transgressions » (Esaïe 53.8) des hommes, nous propose aussi une espérance de paix qui doit orienter toute notre action. Cette espérance d’un avenir radieux nous met en route, nous pousse à « apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » (Martin Luther King). Elle nous invite à un autre regard sur ce monde car, si Jésus a pris sur Lui la violence d’un jugement indu, c’est justement pour résoudre en profondeur le problème de cette humanité violente et apporter la paix.
Au lieu d’enlever les feuilles qui flétrissent sur une mauvaise herbe, Jésus a permis que soit arrachée la mauvaise herbe, pour laisser s’épanouir la vie d’une belle plante qui puise sa force en Lui. Aussi, Jésus nous invite à élargir notre vision et peut nous commander « Aimez vos ennemis » (Mtt 5.44). Dietrich Bonhoeffer commente ainsi ce texte : « L’amour pour les ennemis, c’est uniquement l’amour de Jésus-Christ, de celui qui est allé à la croix pour ses ennemis et qui, sur la croix, a prié pour eux. Or, en considérant le chemin que Jésus a suivi jusqu’à la croix, les disciples eux aussi reconnaissent qu’ils étaient comptés parmi les ennemis de Jésus dont son amour a triomphé. Cet amour ouvre les yeux du disciple de sorte qu’il reconnaît, dans l’ennemi, le frère, de sorte qu’il se met à agir en frère à son égard ».
Indignés de la violence, mais semeurs de Vie …
Comprendre que nous sommes amis du Christ devrait nous pousser à être artisans de paix, à l’amour du prochain envers et contre tout dans le quotidien. Nous ne pouvons pas changer ce monde, mais nous pouvons nous laisser transformer par Dieu, pour pouvoir humblement changer le quotidien de notre prochain, même si nous avons de la peine à le comprendre, à l’aimer.
« Aimez vos ennemis c’est-à-dire priez pour ceux qui vous persécutent » poursuit Jésus. Et si la prière pour les ennemis devenait le refuge de l’amour pour l’ennemi : prier n’est pas chose aisée, alors pour ses ennemis, quelle épreuve ! Si la prière reste ce lieu saint, ce lieu d’intimité avec Dieu, alors y inviter celui qui nous persécute, quelle épine ! Et pourtant, si, dans la prière, nous trouvions le moyen d’aller au devant de notre ennemi et si nous pouvions y trouver la force de transformer notre indignation face à la violence en amour pour ceux qui la commettent …
Pasteur Frédéric Hubault