Hervé BRY
Rien de plus naturel que d’aller à la rencontre d’Hervé Bry et de sa famille, pour évoquer le thème retenu pour notre n° de juin : le chant choral et la musique sacrée en général.
Merci de nous accueillir dans votre nouvelle maison, à Hardricourt, où vous êtes en plein emménagement après votre départ de Mézy, commune à laquelle vous êtes toujours attaché y ayant séjourné durant plus de dix-sept ans.
Par rapport au thème de ce mois, pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
Je n’aime pas vraiment me mettre en avant, mais c’est avec la motivation de faire partager ma passion pour la musique et le chant choral que j’évoque ce thème pour vos lecteurs. Je suis né dans une famille de musiciens et c’est à partir de l’âge de 7 ans que j’apprends le piano. Je l’ai pratiqué jusqu’à 17 ans car ensuite je me suis orienté vers l’orgue et depuis je n’ai plus cessé d’en jouer.
Pour notre plus grand plaisir d’ailleurs car vous êtes à l’initiative de l’implantation, en 2006, d’un orgue à tuyaux à l’église de Mézy avec lequel vous embellissez les célébrations et vous donnez des concerts. Et pour ce qui concerne le chant choral ?
J’ai fait partie de chorales lors de mes études après le bac : une chorale d’aumônerie des étudiants et un ensemble vocal, qui donnait des concerts de musique baroque, que j’ai retrouvé à mon retour de service militaire. Puis, avec des copains de Meulan et de Vaux, on a créé le « Polyphone 1664 » en 1996 (qui existe toujours !) et depuis deux ans, je co-dirige la chorale de la Collégiale et la schola grégorienne de Mantes. J’ai eu un échec en 2007 : une tentative de création d’un chœur d’enfants, à Mantes également, qui n’a duré qu’un an et demi.
Votre activité musicale est donc très riche et variée et il semblerait que vous ayez transmis cette passion à vos enfants ?
Oui avec l’aide de Fabiola, mon épouse, qui a joué du piano et du hautbois, les enfants ont toujours vécu dans une ambiance musicale. Toutefois ils se sont tournés vers des instruments différents : Matthias, l’aîné qui a 20 ans, joue des instruments à clavier et du violon. Iohannès (18 ans) est trompettiste, Esther (16 ans) est flutiste à bec et harpiste, Corentin (14 ans) joue du basson. Sylvain (4 ans) semble plus rétif… En ce qui concerne la découverte du chant, tout petits, mes enfants étaient à côté de moi (voire même dans les bras) quand j’animais les célébrations à l’église de Mézy.
Vous pouvez former un orchestre ? D’ailleurs le concert d’orgue et trompette avec votre fils Iohannès, à Mézy en 2011, avait enchanté un large public.
Oui nous jouons de temps en temps ensemble ; la musique en famille peut parfois être un stimulant mais il faut avouer qu’avec les ados, on a parfois du mal à savoir si « ça les gave » ou si, au fond, ils prennent du plaisir. L’expérience de concert est très utile pour la progression. Mais ce qui est important, c’est d’avoir dès le départ une bonne formation. En ce qui concerne nos enfants, ils sont allés au conservatoire de Cergy. En parallèle il faut les encourager, les stimuler lorsqu’ils connaissent une petite baisse de motivation. En un mot, il faut s’en occuper.
N’est-ce pas surprenant qu’avec votre formation et votre carrière d’ingénieur, vous soyez devenu également musicien et choriste ?
Non, ce n’est pas si surprenant que cela ; en dehors du fait que j’ai vécu dans une famille de musiciens, le métier d’ingénieur demande de comprendre la création et de l’utiliser pour le bien commun, cela ne s’oppose pas à l’irrationnel qui échappe à la raison. On ne connait pas tout et il ne serait pas raisonnable de nier l’existence de quelque chose que l’on ne connait pas. De plus, durant mes études, je ressentais le besoin de faire autre chose. Enfin il ne faut pas perdre de vue que chez les Grecs, la musique, comme les mathématiques, est un art « libéral », c’est-à-dire conceptuel et libéré de toute contingence utilitaire.
Effectivement j’ai trouvé, à ce sujet un texte qui dit ceci : « Il peut paraître surprenant de retrouver la musique classée parmi les arts libéraux ; mais la musique est nombre, fréquence de vibration, durée et force. Elle est proportion par le partage très codifié depuis Pythagore jusqu’au moyen âge, de la gamme en tons ; elle est liée à l’astronomie, car considérée comme participant à l’harmonie des astres. Pour autant sa corrélation avec les « artes voces » est évidente, La musique étant un Langage destiné à s’adresser à Dieu, elle permettait, aux moines ou aux compagnons après le travail, de communier dans la joie et l’harmonie du chant ».
Ceci m’amène tout naturellement à vous demander comment êtes-vous passé de l’orgue au chant choral et y trouvez-vous la même dimension spirituelle ?
En ce qui me concerne, mon passage de l’orgue au chant choral est lié à un concours de circonstance. Et en dehors du piano appris durant l’enfance et après la découverte de l’orgue, dû à mon goût pour l’accompagnement musical des célébrations religieuses, c’est à la Catho de Paris, où j’ai fait l’ISEP « Institut Supérieur d’Electronique de Paris », que nos aumôniers (P. Alain Roux, sj, et le P. Jean-Yves Riocreux) ont voulu relancer une chorale de jeunes. Je m’y suis intégré, je l’ai dirigée et je n’ai jamais cessé depuis de pratiquer le chant choral.
Pour évoquer la dimension spirituelle, je parlerai tout d’abord du chant choral. Le chant choral est exigeant à trois niveaux : d’une part, il nécessite la constitution d’un groupe de choristes qui, par nature, sont différents autour d’un projet commun. Cela oblige chaque membre du groupe à se décentrer de lui-même pour s’ouvrir à différentes inspirations, les styles de musique. Et ce groupe doit être harmonieux : cela demande à chacun de se « prolonger » dans la respiration et le timbre du voisin de chœur. Cela nécessite donc de s’oublier soi-même pour créer une communauté. Et là, le grégorien est irremplaçable et les gens le sentent bien : ce type de chant revient à la mode, surtout d’ailleurs, chez les non-pratiquants.
D’autre part, tout son corps est exposé lorsqu’on chante devant les autres et il y a une pudeur qui s’installe. Le chant a donc une fonction de restauration de la personne car il induit et à la fois il demande de se réconcilier avec son corps.
« Vous utilisez le mot « réconcilier » : est-ce en cela que le chant est sacré ?
C’est-à-dire que chanter, c’est un geste : un geste vocal, les cordes vocales, les poumons, le visage. Tout le corps est sollicité, les os, les tripes vibrent. Nous sommes au cœur du mystère chrétien de la vocation à la non-séparation du corps et de l’esprit. Je dirais que le chant choral a la capacité de nous mettre en relation avec le mystère chrétien de l’Incarnation qu’on fête à Noël et à Pâques. Donc en résumé, le chant construit une communauté, réconcilie la personne avec son psychique (ah ! la pudeur d’Adam qui découvre qu’il est nu !), met en mouvement tout le corps (respiration, vibration, phonation, mémorisation et audition). On s’écoute de l’intérieur et par le renvoi de l’acoustique, on reçoit les vibrations des autres. Le groupe fait église et forme une communauté.
En ce qui concerne l’orgue, la similitude des termes pour décrire l’instrument est frappante par rapport au choriste : un orgue possède des poumons, des tuyaux de tonalités différentes, chacun ayant une ouverture appelée bouche avec de chaque coté des joues, une lèvre supérieure et inférieure. Il me revient en tête quelques passages du texte liturgique de la bénédiction d’un orgue : « Éveille-toi, orgue, instrument sacré, entonne la louange de Dieu notre créateur et notre Père… Orgue, instrument sacré, chante l’Esprit Saint qui anime nos vies du souffle de Dieu… ».
En ce qui concerne la dimension spirituelle, je pense que l’orgue est la figuration de l’Esprit Saint alors que le chant sacré en est l’expression, d’où leur complémentarité.
On comprend que Saint Augustin ait écrit « qui chante bien prie deux fois » !
Nous ne nous lasserions pas d’échanger sur ce thème, mais il est déjà temps de conclure. Merci de votre disponibilité et de nous avoir fait découvrir les différents aspects du chant choral à la fois sur le plan personnel et communautaire. Nous ne chanterons plus de la même manière, désormais !
(Propos recueillis par Yves Maretheu)