Pouvons-nous imaginer un monde sans « grandes surfaces » ? C’était le cas jusqu’au milieu du XIXe siècle, au temps de Napoléon III, lorsque le baron Haussmann modernisait Paris. Le client n’approchait la marchandise que grâce au vendeur chargé de la lui présenter, de lui en vanter la qualité.
Arrive alors un certain Aristide Boucicaut, qui va révolutionner le commerce en apportant un nouveau concept : « le grand magasin ». Mais qui est-il ce révolutionnaire ? De quelle grande école sort-il ? Aristide est né à Bellême dans l’Orne en 1810, d’un papa chapelier et c’est dans la boutique paternelle qu’il commence sa carrière comme commis. Puis il quitte le giron familial avec un marchand ambulant et arrive à Paris en 1829. On le retrouve vendeur au « Petit Saint Thomas » rue du Bac, déjà dans le 7e arrondissement ! Il épouse Marguerite Guérin, une Bourguignonne qui tient une crémerie-gargote pour les petites gens. En 1852, ils rencontrent les frères Videaux qui ont créé une grande mercerie literie « Au Bon Marché ». Ils s’associent et très vite le nouveau concept de grand magasin prend forme sous l’impulsion des Boucicaut : grand choix d’articles vendus à petit prix (indiqués sur une étiquette), réduction de la marge… Le client doit être satisfait ou remboursé et comme il faut provoquer le désir d’acheter, un soin particulier est apporté à la mise en scène de la marchandise.
En 1863, Boucicaut rachète les parts des frères Videau effrayés par les idées commerciales de leur associé. Dès 1869, Louis Charles Boileau est chargé d’agrandir le magasin et fait appel à Armand Moisant pour la structure métallique où Eiffel n’interviendra que tardivement. Le magasin passe de 300 m² à 50 000 m², de 12 à 1 788 employés et de cinq cent mille francs de chiffre d’affaire à soixante douze millions en 1877 ! Tout est fait pour attirer les clients, installation de toilettes mais aussi salon de lecture pour que ces messieurs patientent en attendant que les dames fassent leurs emplettes. Les catalogues sont envoyés dans le monde entier avec possibilité d’achats par correspondance, livrés franco de port. Le roman de Zola « Au bonheur de dames » publié en 1887, dans la série des Rougon-Macquart, se passe dans un grand magasin.
A sa mort en 1887, elle lègue sa fortune à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris avec mission de fonder un hôpital ; ce sera : « l’hôpital Boucicaut ».
On a souvent critiqué la gestion paternaliste des Boucicaut, inspirée du socialisme chrétien de Lamennais. Si les employés bénéficient d’une caisse de prévoyance, d’une caisse de retraite, d’un réfectoire gratuit, d’une journée hebdomadaire de congés payés et pour les femmes d’un logement sous les combles, une stricte tenue noire est exigée et surtout tous les employés sont corvéables et licenciables à merci.
Cent soixante ans plus tard, en changeant quelque peu son nom, devenant « Le Bon Marché », notre premier grand magasin a changé de vocation. Racheté en 1984 par le groupe LVMH de Bernard Arnault, il s’est ouvert au commerce de luxe, laissant de côté sa fidèle clientèle familiale qui lui était pourtant très attachée.