Johannette, la valkyrie trompée par Charles VII (Jeanne d’Arc)
L’histoire de Jeanne d’arc (1412-1431) est connue mais néanmoins méconnue sous son prisme politique. Cette jeune fille, issue d’une toute petite bourgeoisie provinciale, naquit hors de France à Domrémy. En cet endroit, la société semblait matriarcale car il était de coutume que les filles portent le nom de leur mère. Il apparaît que son premier nom soit De Vouthon ou Devouton, sa mère ayant fait, paraît-il, un pèlerinage à Rome quelques années auparavant, action qui ne pouvait être entreprise que par une femme, certes très pieuse mais aussi courageuse, émancipée et aisée. Il devait flotter un parfum de féminisme et de conscience politique dans cette famille car la très jeune Jeanne a déjà des convictions sur le devenir de la France…
Son père, lui, portait le nom de Darc (il n’est pas encore anobli à ce moment). Une partie du village de Domrémy dépendait de la chattelerie de Gondrecourt en Barrois non mouvant, donc faisant partie du Saint Empire romain germanique, l’autre partie, de la Champagne. Ainsi, ce hameau au gré des époques aux confins de la Lorraine, a tantôt été français, tantôt germain. Village du duché de Bar, l’enclave de Vaucouleurs et le village de Domrémy avaient fait allégeance au dauphin de France.
L’échec retentissant d’Azincourt s’éloignant un peu, Charles VII (1403-1461) s’était autoproclamé roi de France sur un territoire réduit et très morcelé. Les Anglais, bien aidés par les grands seigneurs toujours prompts à trahir, ont alors renforcé leurs étreintes sur la France. Pourquoi Jeanne voulait-elle porter Charles sur le trône de France. Pourquoi le faire sacrer à Reims ? Comment a-t-elle pu se faire comprendre, elle qui ne peut parler qu’un patois lorrain germanique assez éloigné du phrasé royal ?
Jeannette reconnaît « le gentil dauphin » au milieu de nombreux courtisans mais connaît-elle le roi ? Charles a déjà un passé mouvementé et plutôt trouble, il a été impliqué en 1419 dans l’assassinat de Jean sans peur (2), dans l’enlèvement du duc de Bretagne. Spontané ou préparé, ce miracle de cour se propage volontairement via un réseau d’espions (Jeanne de Warren est l’espionne d’Édouard III) et arrive aux oreilles des Anglais. Jeannette est très persuasive, elle semble habitée par la grâce et sa candeur émeut.
Toutefois, fin stratège, le dauphin flaire surtout la bonne aubaine (c’est Yolande d’Aragon qui a compris le bénéfice politique que le roi peut tirer de cette jeune exaltée) et l’épopée se met en marche. Parée d’une armure complète escortée par une escouade d’excellents cavaliers et entourée par quelques grands du royaume, elle reprend en 1429 Orléans. Elle y est blessée au pied puis, le lendemain, au cou. Au siège de Gergeau, elle reçoit une flèche puis une pierre brise son casque, mais toujours avec panache et courage gagne la bataille. Dorénavant sa légende la précède.
La ville de Beaugency se rend avant l’attaque. Les Anglais sont encore battus aux alentours d’Orléans, puis Troyes ouvre ses portes sans combat ainsi que Chalons. Reims fait de même. Le roi peut alors s’y rendre pour s’y faire sacrer. Le miracle s’est réalisé. Elle conseilla alors au roi d’aller et de marcher sur Paris. Charles attaqua Paris sans enthousiasme ; la pucelle s’y comporta avec son courage ordinaire, reçut une flèche à la cuisse qui la mit hors de combat et fut laissée plus d’une heure sans secours sur le revers d’un fossé. Devenue moins nécessaire, elle était traitée maintenant avec indifférence. Paris ne fut pas pris et fatiguée, diminuée par des blessures nombreuses, Jeanne demanda à retourner chez ses parents. Les grands du royaume l’exhortèrent à continuer de servir le roi. Celui-ci en fit de même et elle se laissa persuader. Pour la remercier, Charles exempta de toutes impositions le village de Domremy, l’anoblit avec toute sa famille y compris ses frères et sœurs, leur donna des armoiries et le nom de « du Lis ».
Assiégé par les Anglais et les Bourguignons, Compiègne demanda de l’aide. Aidée d’une escouade, la pucelle s’y porta à cheval pour desserrer l’étreinte, mais fut serrée contre un fossé, démontée et forcée de se rendre à un capitaine bourguignon. Il la céda au comte Jean de Ligny-Luxembourg, son général qui la vendit aux Anglais moyennant une rançon de dix mille livres, une somme considérable digne d’un roi.
Le jeune Anglais Henri VI essuyant défaites sur défaites, avait besoin d’un procès retentissant, idéalement en sorcellerie pour discréditer Jeanne et par extension, le sacre de son rival, Charles VII.
Le sort de la pucelle s’est joué à ce moment-là. Cette épopée prophétique va mêler d’une façon extraordinaire le culte marial (3) virginal (c’est elle qui fait naître symboliquement ce petit roi) avec un destin quasi christique. En effet portée par la grâce, cette jeune vierge convint un auditoire masculin et guerrier qui n’est pas acquis à sa cause, puis gagne des batailles de façon miraculeuse. Enfin, la pucelle est arrêtée facilement parce que, déjà abandonnée par ses « apôtres », les grands du royaume. Elle subit un procès inique. Jean Cauchon, évêque de Beauvais, se comporte comme Caïphe (le chef du sanhédrin de Jérusalem) avec Jésus. Aucune réponse, aucune explication ne trouve grâce à ses yeux. Il la condamne à un supplice atroce. Charles VII, comme le préfet romain Pilate au premier siècle en Judée, s’en lave les mains. Il n’essaye pas de la racheter contre rançon, ne tente pas une action guerrière, ne paye pas le bourreau pour abréger ses souffrances. Il est certainement sous l’emprise de courtisanes jalouses de la notoriété de cette très jeune femme. Son agonie aux yeux de tous est terrible, le bucher est très haut et elle n’est pas asphyxiée avant que les flammes ne la brûlent. Les Anglais voulaient détruire le mythe de Jeanne ; ils vont le renforcer. Les calomnies odieuses, voulant la présenter comme une sorcière, vont l’inscrire en lettre d’or sur l’autel des plus grands saints. Peu de temps après sa mort, le petit peuple lui voue une dévotion exceptionnelle.
Charles VII et le pape Calixte III consentent vingt-cinq années après sa mort, certainement encore pour des raisons politiques, à instruire un procès en nullité (la mère de Jeanne y est pour beaucoup, elle plaide sa cause auprès de Calixte) mais ses bourreaux, témoins, prélats, magistrats, eux ne seront pas poursuivis criminellement.
Louis XI, qui avait du mal à cacher de ce qu’il pensait du pitoyable règne de son père, fit reprendre le procès dans les premières années de son règne. Malheureusement, presque tous ceux qui avaient condamnés la pucelle étaient morts. Deux seuls restaient et ils furent brûlés.
Jeanne est béatifiée par l’église le 18 avril1909 et le 16 mai 1920, elle est canonisée quatre cent quatre-vingt neuf ans après sa mort…
D. Weugue
Valkyrie : personnage féminin mythologique nordique représenté par une femme guerrière,
(2 ) Jean sans peur : Jean 1er de Bourgogne, né le 28 mai 1371, meurt le 10 septembre 1419, assassiné,
(3 ) Culte marial : culte de la Vierge Marie.