La finalité juste et les idéologies du travail
La vocation du pommier est de donner des pommes. Un pommier en forme donne des bonnes pommes. « En forme » : dans sa forme, dans ce qu’il doit être. Quand je suis en forme, je peux donner le meilleur de moi-même dans mes actions.
Si l’on pose la question « qu’est-ce que le bonheur ?» ou bien, au terme de la vie, « qu’est-ce qu’une vie réussie ?», sans doute répondrons nous : « d’être aimé et d’avoir été aimé » ; les plus narcissiques répondront peut-être « d’avoir réussi ce que j’ai voulu faire », se contemplant dans leur travail, comme disait Simone Weil (décédée en 1943) : de s’être aimés eux-mêmes, de laisser une trace dans l’histoire.
Quelle est donc la « forme » de l’être humain ? C’est d’aimer. Qu’est-ce qu’aimer ? C’est donner, se donner, recevoir, se recevoir des autres. C’est d’être à l’image de Dieu, d’être formé par sa parole. Formé ! le contraire est « déformé ». Alors regardons ce qui nous déforme : on les appelle les idéologies.
Une idéologie, c’est l’idée qu’on se fait d’une finalité qui ne permet pas à l’être humain d’être en forme. Par exemple : le scientisme, pour lequel la finalité est la science et la foi réside dans la toute-puissance de celle-ci. L’économisme : la finalité est l’économie et la foi est que l’économie apportera la solution à nos maux. Le libéralisme : la finalité est la liberté la plus grande. Le communisme (socialisme historique) : la finalité est le Système, et la foi est que ce système est parfait (et donc les personnes n’ont rien à dire : ce sont désormais des individus), etc.
Ces idéologies ont des finalités qui ne sont pas l’être humain. Elles le dé-forment donc pour en faire un outil en vue de cette finalité (la science, la liberté, l’économie). C’est ainsi que l’économie sert la finance, que l’entreprise sert l’économie (en lui promettant du rendement), que l’outil de travail sert l’entreprise au lieu de soulager le travail des hommes (on pense bien sûr à tous ces indicateurs et reporting qui deviennent un outil de travail nous empêchant de travailler), que l’homme est l’outil de l’outil de travail… Et voilà l’homme, l’être humain, dont la vocation est l’amour, déformé au rang d’outil.
Que faire ? Rompre le cercle vicieux qui inverse l’enchaînement des moyens et des buts. Couper le cercle en remettant l’Homme dans sa perspective juste, c’est remettre de la transcendance dans nos actes. Ou plutôt : en ayant conscience de la réalité transcendante de nos actes, de nos rencontres, de nos décisions, etc. bref, en ne démissionnant plus de ce qui fait de nous des êtres humains.
Car la cause de nombreux problèmes actuels est que nous avons démissionné. Nous acceptons d’être des choses, des objets de commerce. Nous acceptons la marchandisation de nous-mêmes, nous nous vendons, nous sommes des ressources humaines, nous voulons augmenter notre employabilité, nous acceptons que notre travail, qui est notre contribution au bien commun, soit un marché (« le marché du travail »), etc.
A chacun de nous de nous réhabiliter nous-mêmes en commençant par le regard que nous portons sur nous-mêmes et, par conséquent, sur les autres personnes. Puisse ce regard être un regard de foi : celui de Jésus lui-même sur ses apôtres, sur les pécheurs : un regard qui relève.