La légende de saint Nicaise, de Vallès (Vaux-sur-Seine) à Petromantalum (Saint-Clair-sur-Epte)
En 58 avant Jésus Christ, les Celtes appelés Gaulois(1) par les Romains ont été vaincus par Jules César. Très vite, l’administration romaine a étendu son emprise sur l’ensemble des Gaules. Par syncrétisme(2), les dieux romains ont alors commencé à remplacer les anciennes divinités gauloises. La religion des Celtes, essentiellement orale, philosophique sans dogme et non sectaire, semblait compatible avec les différentes religions gréco-romaines y compris le christianisme à venir. D’ailleurs, les Celtes vénéraient en ce temps-là une déesse mère avec un enfant sur les genoux qui ressemblait beaucoup à la vierge Marie et à l’enfant Jésus.
L’Hellas(3) avait aussi été vaincu depuis longtemps par Rome. Cette nation brillante qui avait vu naître tant de philosophes et de mathématiciens (Socrate, Platon, Thales, Pythagore, …), s’appellera désormais la Grèce (grecul en latin veut dire serviteur, esclave, …). Toutefois, la langue de la « belle Hélène » et sa culture prédomineront et ce, jusqu’au VIème siècle de notre ère dans l’Empire romain (c’est encore la langue officielle de l’église au IIIème siècle).
Les orateurs issus de ce monde hellénique sont parmi les premiers convertis aux religions chrétiennes. Prédicateurs de l’évangile de Jean l’Ancien(4) ou formés à la rhétorique de l’ancien testament et de la loi de Moïse, ou encore disciples de Saül le Pharisien(5) (saint Paul est l’apôtre des païens), ils sillonneront la Gaule au IIIème siècle, véhiculant une doctrine christique primitive assez éloignée de notre nouveau testament. Les évêques de Rome ont alors grand besoin de ces missionnaires pour répandre « cette bonne nouvelle(6) ».
Environ en 250 après J.C., plusieurs évangélisateurs sont envoyés en Gaule « chevelue » où florissaient d’importantes cités païennes (païen veut dire paysan). Parmi eux, l’évêque Nicaise, le prêtre Quirin et le diacre Scuricule sont résolus à porter cette lumière évangélique (notamment chez les Parisii avec saint Denis qui deviendra évêque de Lutèce). C’est alors qu’ils arrivent dans la vallée de la Seine à Vaux (Vallis ou Valles, près du fleuve le plus sacré des Gaulois, la Seine). Cette bourgade est connue dans un petit périmètre autour des vallées de l’Oise et de la Seine grâce à une fontaine dont les bienfaits de l’eau sont avérés. Un hameau s’y est développé et des guérisseurs, herboristes, magnétiseurs, druides et druidesses, soignent et y réalisent des prodiges grace aux sciences et connaissances des vertus des venins de serpents qui abondent autour de cette source (présence de marais).
« La première légende raconte qu’un horrible serpent avait fait sa demeure d’une caverne d’où jaillissait une fontaine et terrorisait les habitants ; c’est le prêtre Quirin qui, sur le commandement de Nicaise, fit courber le monstre à l’aide d’une étole nouée et le fit fuir ; devant ce miracle, trois cent dix-huit habitants se convertirent et reçurent le baptême ».
Les Véliocasses, habitants du Vexin, peuple de Gaule Belgique, pratiquaient un polythéisme (7) naturaliste et comme les autres Celtes, vénéraient le dieu des sources Nerios ou Neris ici depuis très longtemps. Cette vallée est habitée depuis la préhistoire ; sur les rebonds sud des hauteurs de l’Hautil ainsi qu’au sud du bois de Fortvache à Vaux, ont été découverts des ateliers de taille montmorencien(8), outils de grés, racloirs, couteaux, gros outils forestiers. Les dieux gaulois, Belenos et Cerunnos, souvent représentés avec un serpent à tête de bélier étaient toujours vénérés au IIIème siècle ; ils devaient être vaincus par Nicaise (qui veut dire victoire en grec).
Pour assoir la nouvelle religion conquérante, le premier message subliminal(9) consistait donc à « terrasser » les anciennes divinités grâce à Nicaise, le saint évangélisateur du Christ. Le second message visait à vaincre le serpent bénéfique des Celtes, symbole de guérison, de sagesse, de connaissance et qui représente le cycle de la vie, pour le remplacer par la légende du serpent maléfique de la bible hébraïque, animal honni qui a perverti Adam et Eve. En effet, le Nahash (nom hébreu du serpent) doit sortir du jardin d’Éden et être condamné à ramper dans la poussière et le sable.
Ce beau miracle accompli, les trois prédicateurs continuèrent leurs prêches le long de la Seine, à Meulan, Mantes, la Roche-Guyon puis ils arrivèrent sur les bords de l’Epte vers Saint-Clair, capitale du Vexin à l’époque, mais leur notoriété s’étant répandue dans toute la région, commençait à déplaire notamment au préfet romain. L’empereur Trajan Dèce, qui avait décrété quelques années auparavant une persécution générale des chrétiens, avait fait des émules dans toute l’administration en Gaule car les différentes sectes chrétiennes étaient génératrices de désordre en ce temps-là, n’hésitant pas, disait-on, à s’affronter et à recourir à une certaine violence. Le préfet fit donc arrêter, vers 286 après J.C., et décapiter les trois orateurs. Les sacrifiés devaient être abandonnés aux oiseaux de proie et aux bêtes sauvages, mais à la nuit tombée, les suppliciés se relevèrent, prirent leurs têtes et traversèrent l’Epte jusqu’à Ecos. Cet épisode scella définitivement leur deuxième légende et dorénavant leur statut de martyrs les fit entrer dans la famille des saints céphalophores, à la tête coupée. Leurs corps furent récupérés par leurs disciples et leurs reliques font depuis partie d’un culte, notamment le long de la Seine et de l’Epte.
Saint Nicaise ne fut pas évêque de Rotomagus (Rouen) mais sa relique fut transférée en 660 vers Rouen qui était devenue la capitale du Vexin dans l’ancien prieuré dit de Saint-Ouen. En 841, les Vikings attaquent Rouen. Un abbé transféra de nouveau la dépouille de saint Nicaise à Gasny. Telle « une gerbe incessamment refleurie », ce mythe s’est perpétué jusqu’à nos jours grâce aux chanoines et abbés qui, au IXème siècle, réactivèrent les légendes en y ajoutant circonstances, particularités et précisions pour les sublimer et nourrir l’imagination des fidèles.
Plus tôt, en 325, un autre Nicaise, évêque de Die dans la Drôme, est le seul représentant pour la Gaule au concile de Nicée ; outre l’empereur Constantin, le concile est constitué de trois cents évêques grecs, quatre évêques latins, un seul gaulois, de nombreux experts et philosophes. Cela débouchera sur le christianisme nicéen(10) avec le choix des quatre évangiles qui constitueront le nouveau testament, rejetant donc nombre d’évangiles apocryphes(11).
On retrouve aussi un certain évêque saint Nicaise à Reims, plus tard dans l’histoire de la Gaule, mort en 401 ou 451 avec sa sœur sainte Eutropie, eux aussi suppliciés à la tête coupée. « Il y eut en ce temps-là une grande invasion de Vandales en Champagne ; ils étaient destructeurs et leur christianisme arien(12) leur faisait détester les tenants de la foi du concile de Nicée ; les vandales s’acharnèrent à la perte des Chrétiens que renferme la ville afin de les faire disparaître de la terre comme ennemis de leur dieu… la légende rapporte que saint Nicaise se leva, ramassa sa tête et s’en alla jusqu’à son tombeau ; effrayés devant ce miracle, les barbares s’enfuirent de la ville et Reims fut finalement épargnée ». Cet épisode copie aussi l’ancienne légende de saint Denis (le céphalophore qui porte lui sa tête de la butte Montmartre à Saint-Denis).
En 1620, on construit une chapelle sur les lieux du premier miracle à Vaux près d’un vieux cimetière encore plus ancien qui atteste donc, à cet endroit, de la persévérance du culte de saint Nicaise à travers les siècles passés. A la révolution de 1789, la chapelle est détruite… En 1890, un calvaire est érigé à l’emplacement de la source, toujours présent à ce jour.
D.Weugue
(1) Gaulois veut dire homme fort, courageux.
(2) Le syncrétisme religieux est un exemple d’hybridation, de « bris-collage » amenant à la formation d’une religion nouvelle produite par la confrontation et l’influence de croyances et de valeurs issues de systèmes culturels opposés.
(3) Hellas : nom de l’ensemble des terres habitées par les Hellènes, c’est-à-dire toute la Grèce antique.
(4) Jean l’Ancien : prêtre juif à Jérusalem, mort à Ephèse, auteur probable du 4ème évangile dit de saint Jean l’apôtre. Cet évangile a été dicté par Jean l’Ancien à son script Papias. Jean est le disciple que Jésus appréciait le plus. (Voir le livre : Jésus l’enquête de Jean Staune).
(5) Pharisien : membre d’un groupe puritain de la région juive.
(6) Cette bonne nouvelle. Evangile : toutefois aux premiers siècles, le terme grec euangélion ne désigne aucunement un évangile écrit, mais plutôt la « Bonne Nouvelle » proclamée par Jésus et ses apôtres.
(7) Polythéisme : doctrine religieuse ou système philosophique qui admet l’existence de plusieurs dieux.
(8) Montmorencien :période préhistorique dans la vallée de Montmorency.
(9) Subliminal : qui est très bien perçu par le destinataire (la cible du message) mais à un niveau inconscient.
(10) Nicéen : christianisme ancien issu du premier concile de Nicée. Trinitaire, il définit son orthodoxie en opposition à l’arianisme.
(11) Apocryphes : que l’Eglise ne tient pas pour canonique, dont l’authenticité est douteuse ou niée.
(12) Arien : l’arianisme est une doctrine christologique due à Arius, théologien affirmant que Jésus est d’abord humain.
