La prudence, une vertu ?
Une vertu est une disposition, devenue habituelle par l’entrainement, qui oriente les passions et l’action vers quelque chose qui, d’une part, est un bien et, d’autre part, rend bon celui qui la met en œuvre. Mais la prudence est-elle une vertu ?
La question se pose depuis l’antiquité : Aristote en faisait déjà une des quatre vertus cardinales (avec la tempérance, le courage et la justice) mais les stoïciens en faisaient presque une science des choses à faire ou à ne pas faire. Kant au XVIIIème siècle y voyait plutôt une simple habileté à remplir, malgré les aléas, le devoir dicté par la morale, c’est-à-dire les autres vertus.
A notre époque il faut bien constater que le mot a pris un sens courant encore plus réducteur qui peut se résumer en l’aptitude à éviter les dangers ou les simples embêtements : le gros accident ou la contravention sur la route, se faire estamper dans un achat, faire un placement douteux etc… C’est un peu léger sur le plan moral !
Pour Thomas d’Aquin (XIIIème siècle), la référence chrétienne en la matière, la prudence est la vertu de l’action à accomplir, ici, maintenant et personnellement pour atteindre ce que les autres vertus ont défini comme leur fin. Cela comprend trois aspects plus ou moins mêlés : la réflexion sur le comment faire, le choix des moyens et la décision. Les bonnes intentions proposées par les autres vertus sont ainsi prises en responsabilité avec prudence.
La réflexion doit évidemment envisager les aléas possibles et prévoir les précautions « ad hoc ». Malgré tout, il restera des risques à assumer pour soi-même et pour les autres.
Les autres justement, ils apprécieront et influeront toute action, plus ou moins bien, à tort ou à raison… Le résultat en dépendra et il convient d’user à leur égard de diplomatie, de patience et de tolérance. A ce sujet, on peut noter que Catherine de Sienne, future sainte et docteur de l’Eglise, associait, voire confondait, les vertus de Prudence et de Discrétion.
Enfin, les buts ou conséquences de l’action entreprise peuvent être immédiats ou bien engager un avenir plus ou moins lointain comme par exemple l’éducation des enfants, l’évolution des techniques, le respect de l’écologie…
Finalement la prudence, se méfiant de toute idée préconçue et même de sa bonne conscience, incite à penser à tout et permettre à toutes les autres vertus de passer à l’acte efficacement, c’est donc la dernière des vertus et la plus importante !
Dans la cathédrale de Nantes, Michel Colombe (1430 –1515), sculpteur statuaire français de l’école de Tours, sous les règnes de Charles VIII et de Louis XII, a placé aux angles du tombeau de François II, duc de Bretagne, les quatre vertus cardinales : la Force, la Justice, la Tempérance et la Prudence. Cette dernière allégorie est riche de symbolisme. La femme tient en main gauche un miroir pour mieux se reconnaître et pour regarder derrière soi avant d’avancer. Derrière son visage apparait d’ailleurs une autre face, celle d’un vieillard barbu : c’est le passé, l’expérience, dont on doit tenir compte avant d’agir