L’abdication de Nicolas II, dernier tsar de Russie
Mars 1917. La guerre prend une tournure qu’aucun gouvernement n’aurait imaginée aux premiers jours des combats. Tandis que les Etats-Unis s’apprêtent à entrer dans le conflit aux côtés de l’Entente (Brésil, Uruguay, Pérou), la Russie impériale vit ses derniers instants.
15 mars 1917 : Il est près de 23 heures lorsque Goutchkof et Choulguine, les deux envoyés du gouvernement provisoire, retrouvent le tsar Nicolas II dans son quartier général de Pskov. Ils viennent lui proposer d’abdiquer en faveur de son fils Alexei, âgé de treize ans. Le tsar sait qu’il doit accepter cette terrible proposition.
Pays de cent vingt-six millions d’habitants dont vingt-deux millions d’ouvriers, l’Etat, en pleine guerre, traverse une période très dure. L’économie est paralysée par les mobilisations successives de corps armés, les transports sont désorganisés, les villes acculées à la disette par des récoltes médiocres. Absorbé par les taches militaires, le tsar a laissé le gouvernement aux mains d’incompétents. Le prince Galitzine est un vieil homme qui n’a plus toute sa tête. Protopopov, ministre de l’intérieur, est une ancienne marionnette de Raspoutine, qui se prétend en liaison constante avec le défunt.
Les revers militaires s’accumulent et Nicolas II en proie à un profond désarroi, se retranche dans son quartier général de Pskov. L’agitation populaire s’est répandue dans la ville de Petrograd dès le 8 mars, les manifestants réclamant du pain. Le 10, c’est la grève générale. Le 12, l’annonce de la suspension de la Douma – assemblée élue, créée par le tsar en 1905 – met le feu aux poudres. Régiment après régiment, la garnison de Petrograd rejoint les rangs de ce qui est en train de devenir une révolution. Un soviet ou comité des députés ouvriers de Petrograd se constitue et s’associe à la Douma pour constituer un gouvernement provisoire. La tsarine Alexandra, restée à Petrograd, envoie des télégrammes alarmants. Le 13, le tsar décide de se rendre dans la ville en émeute. Il ne se doute pas que les troupes du secteur ont fait défection et que la voie ferrée est aux mains des insurgés. Le train impérial est très rapidement immobilisé. Nicolas II, effondré, habituellement impassible, pleure et déclare : « Si le peuple le veut, j’abdiquerai ».
C’est donc sans surprise qu’il prendra connaissance deux jours plus tard du discours de Goutchkov et Choulguine. Lorsqu’il prend la parole, la maîtrise dont il fait preuve frappe ses interlocuteurs : « J‘ai décidé d’abdiquer. Jusqu’à 3 heures aujourd’hui, j’étais prêt à le faire en faveur de mon fils, mais je serai incapable de me séparer de lui (le tsarévitch est hémophile)… C’est pourquoi j’ai décidé d’abdiquer en faveur de mon frère ». Puis, d’une main qui ne tremble pas, le dernier tsar de toutes les Russies signe sa lettre d’abdication. De cet instant, Choulguine devait raconter par la suite : « J’éprouvais une immense pitié pour cet homme qui venait de racheter d’un geste, ses fautes passées ».
Il est minuit. Le règne des Romanov, commencé en 1613, s’achève. Mais rien ne se passera comme il le pense. Son frère le grand-duc Michel, ne voyant aucune possibilité de rétablir l’ordre, renoncera immédiatement au trône. Le tsar et sa famille seront arrêtés le 6 avril.
La Russie vit sa première révolution dite révolution de février, car selon le calendrier orthodoxe, elle se déroule en février et non pas en mars. La République russe est proclamée le 14 septembre 1917 et, le 7 novembre, les bolchevicks, prenant le pouvoir par un coup d’Etat baptisé Révolution d’octobre, fondèrent un nouveau gouvernement communiste. Pour un certain Lénine, l’aventure commence alors que celle-ci se termine pour Nicolas II. En résidence surveillée avec sa famille, il sera exécuté avec les siens dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 à Ekaterinbourg sur ordre de Lénine. Leurs corps seront jetés dans une fosse puis retrouvés pour la plupart en 1991 et en 2007 pour deux des enfants. Le 17 juillet 1998, quatre-vingts ans après leur assassinat, les restes de la famille impériale furent inhumés dans la cathédrale Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg en présence des descendants de leur famille et des plus hauts dignitaires russes. Le tsar et sa famille ont été canonisés et considérés comme martyrs par l’Eglise orthodoxe de Russie en l’an 2000 et par la cour suprême de Russie en octobre 2008.
Geneviève Forget