Le clocher de Meulan
Comme beaucoup de nos lecteurs, nous intéressant à l’histoire du clocher de l’église de Meulan, nous nous sommes adressés à travers le cabinet d’architecture APGO à Philippe Oudin, afin de recueillir des informations sur les travaux entrepris. Ce dernier, chargé par le département des Yvelines, a établi sa thèse sur l’église Saint Nicolas pour le concours d’Architecture en chef des Monuments Historiques en 1979. C’est à ce titre qu’il se fait un plaisir de communiquer à notre journal un résumé chronologique des études et travaux menés à l’entretien de l’édifice, enrichi de documents historiques.
La construction de l’église devrait remonter, d’après Lefèvre-Pontalis et par analogies architecturales, aux années 1130/1150. L’édifice est mentionné dans la charte datée de 1152 qui fut accordée par le comte de Meulan Galéran II, aux religieux du prieuré de Saint-Nicaise. De cette époque datent la dernière travée du bas-côté Nord et les travées du chœur et du déambulatoire.
En l’absence de documents d’archives précis, nous ignorons l’évolution qu’a connue l’édifice entre 1150 et le premier quart du XVIe siècle. L’examen des éléments architectoniques permet cependant de placer la construction des voûtes de la nef et du chœur vers le XVIe siècle.
En 1758, un premier rapport est établi par Pierre Gabriel Houdar, l’architecte expert. Ses notes et observations permettent aujourd’hui de retracer un bout de l’histoire de l’édifice. A l’appui des délibérations du conseil de fabrique, il est possible de retracer précisément l’histoire de l’église Saint-Nicolas au XVIIIe siècle.
Souffrant d’une instabilité chronique, l’église fait l’objet de nombreux travaux et modifications étroitement liés avec les reprises structurelles, au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Commencées en 1758, les démarches pour obtenir l’autorisation de travaux n’aboutiront qu’en 1764. La décision sera très longue à obtenir, car la fabrique a peu de ressources.
Le 17 décembre 1758, une requête est présentée à l’intendant de la généralité de Paris pour présenter les réparations à faire : « Disant que le portail, le clocher partie de voûte et un côté de la costière de ladite église menacent une ruine si prochaine que les pilliers soutenons le clocher et portail sont tous penchées […] C’est pourquoi Monseigneur, Votre Grandeur, est très humblement suplié qu’il en soit fait une visite le plus promptement que faire ce pourra par ce qu ‘il y a danger évident ».
Le 22 décembre 1758, P. G. Houdar est nommé architecte expert pour l’église. Le 28 décembre, il visite l’édifice et fait la description de l’état des lieux : «A gauche dudit portail est le clocher d’ancienne construction composé de trois étages dont la face joignant le portail est distribuée en une grande porte au rez-de-chaussée, au-dessus est une grande arcade et dans l’étage supérieur est une petite baye quarrée, le tout en pierre des mêmes qualités, cy-dessus air et au-dessus dudit clocher un comble en flèche d’ardoises, […] le mauvais état du clocher (ayant plusieurs ouvertures en façade), en surplomb, menace ruine […] le premier pillier à gauche en entrant dans la nef par le portail, est en surplomb, bouleversé et bombé dans sa hauteur (…). Il est d’autant plus nécessaire de le reconstruire à neuf qu’il porte une partie du clocher. »
Après un projet de P. G. Houdar et une nouvelle requête déposée en 1759, le rapport et le projet sont remis à Monseigneur l’Intendant de la Généralité de Paris. Les plans sont établis ainsi que les devis, datés du 31 janvier 1762. Les travaux ne sont cependant pas engagés.
En juillet 1763, les marguilliers semblent résolus à affronter eux-mêmes la dépense des réparations. Ils demandent l’autorisation d’employer « les deniers provenons des épargnes de la fabrique ensemble, Neuf Cens Livres remboursés à celle qui avaient été placés » et même d’« emprunter au nom de la fabrique si nécessaire ». Une ordonnance du grand vicaire autorise en 1763 l’affectation d’une somme de 3 000 francs, appartenant à la fabrique, pour des travaux de reconstruction dans l’église. Ceux-ci concernent principalement le bas-côté Sud, les piles de la nef et du chœur, l’élévation occidentale, le clocher, les charpentes et couvertures de l’ensemble de l’édifice.
En 1763, Pierre Picton est nommé Expert Juré par la Cour. Il préconise : « 2. Qu’il est nécessaire de faire deux arcs en pierre de taille pour supporter une partie du clocher afin de décharger le mur de façade qui est en surplomb (…)
- 4.que pour soulager l’arc d’ogive en mauvais état (…) sur lequel porte un pan de mur du clocher (…) on doit (…) bâtir deux pieds droits en pierre de taille de chacun quinze pouces sur deux pieds d’épaisseur (…).
- 5.(…) que la partie haute (du clocher) a un surplomb plus considérable, et qu’elle est fractionnée considérablement, que pour empêcher que lesdits murs ne prennent un plus fort surplomb (…) il faut démolir la partie haute du clocher jusqu’à cinq pieds au-dessus de l’ancienne maçonnerie (…)
10. que la charpente actuelle dudit clocher est défectueuse ainsy que la couverture d’ardoises et qu’elle est en forme de dôme dont la construction est coûteuse (…). Estimons qu’il sera moins coûteux d’en refaire une toute neuve à quatre pans avec deux poinçons (…)
18. que le surplomb des murs dudit clocher tant de l’ancienne bâtisse que la partie en surélévation qui a anciennement été construite sur l’ancienne bâtisse (…) a été occasionnée par le défaut du bejfroy (…). Les cloches étant posées sur des poutres à l’extrémité des murs de la surélévation ont toujours causé un ébranlement à toute la bâtisse (…) »
Le 22 janvier 1764, le parlement de Paris autorise « à faire faire à ladite église paroissiale les démolitions dont il s’agit et notamment défaire démolir la partie haute du clocher jusqu’à cinq pieds au-dessus de l’ancienne maçonnerie ».
Le 29 janvier 1764, les entrepreneurs « Sieur Nicolas Cheronnet père, Martin et Jacques Cheronnet, ses deux fils, maîtres maçons, entrepreneur de bastiments, demeurant dudit Meulan » commencent les travaux. Ils procèdent aux fouilles et reconnaissent qu’ « il n’y a aucune fondation sous les pilliers du clocher tenant au portail et à la nef».. L’architecte expert Picton est alors averti et signale qu’il n’est pas utile de «faire tous les ouvrages qui avoient été ordonnés pour conserver l’ancienne bâtisse du clocher. Le défaut de fondation a bien été constaté par les fouilles de pres de 10 pieds (3,20m) ».
Il déclare « qu’il est préférable défaire un clocher à neuf, de le placer dans la ruelle (…) en se servant de la costière dud. côté de la ruelle qui peut subsister en la hauteur de vingt-quatre pieds de haut (7,80 m) (…). Le clocher à faire aura seize pieds en quarré d’hors œuvre en hors œuvre (5,20 m) pour avoir dix pieds quarré (3,20 m) dans œuvre.
Que les fondations dudit clocher auront jusqu’au rez-de-chaussée six pieds de profondeur (1,95 m) sur quatre pieds d’épaisseur (1,30 m) (…). Les murs seront construits avec encoignure en pierre de taille de dix-huit pouces d’épaisseur, trois pieds de long, le remplissage sur le mur extérieur sera en moellon piqué, posé en arase égale.
Sera fait un entablement au pourtour (…) de neuf à dix pouces de saillie (…) de profil honnête incrusté dans les moellons (…).
La charpente sera couverte en ardoises Danger forte quarrée et dupureau ordinaire de quatre pouces posées, attachées sur planche d’obier (…). Le coq sera reposé solidement sur ledit poinson ainsi que la croix actuelle (…). Serafoumy et posé les plombs nécessaires au quatre arêtiers, chacun de cinq pieds de haut (1,62 m) (…) de largeur suffisante et le plomb nécessaire pour le revêtement et boule du poinçon. Sera posé deux abas vent (…) dans les bayes avec l’ardoise ancienne attachée sur les planches bois et chevrons.
Sera fait le beffroy, fourny cinq pièces de treize pieds et demy de dix pouces, neuf poteaux de douze pieds de huit pouces, six sablières de douze pieds de six pouces, les poteaux et croix de Saint-André de quatre à six et cinq et six pouces. Sera fait la couverture de tuile à la place du clocher démoly ».
Le 24 mars 1764, la première pierre du clocher neuf est posée. « Les cloches ont sonné pour la première fois dans le nouveau clocher le 29 may. La couverture du clocher a été finie et le cocq posé le 23 juin, ».
A peine soixante années après l’importante campagne de travaux commencée en 1764, la dégradation des maçonneries exige de nouvelles interventions notamment sur les murs et les contreforts extérieurs ainsi que la charpente et la couverture. Les travaux dureront entre 1822 et 1824.
En décembre 1871, le conseil de fabrique approuve le nouveau projet d’aménagement du chœur qui sera suivi en 1878 par la construction de la chapelle de la Vierge accolée au chevet dans l’axe de celui-ci, de la sacristie qui lui fait suite au Sud-Est, et de l’ouverture d’un porche latéral dans le mur gouttereau Sud, à la hauteur de la première travée du déambulatoire et de la surélévation du clocher.
A la fin du XIXe siècle, la société des chemins de fer de l’ouest crée la ligne nouvelle Paris-Mantes. Les travaux de percement du tunnel à l’aplomb de l’église Saint-Nicolas durent trente et un mois. Il est inauguré en avril 1892 et la société conclut un traité avec la municipalité moyennant trois mille francs or. La commune renonce à tous recours à l’encontre de la compagnie si des dégâts se produisent à l’église.
En 1910, une proposition de classement de l’église de Meulan est présentée. MM. Selmersheim, I.G.M.H. et Malençon A.C.M.H. « reconnaissent à valeur des parties romanes […] mais émettent des réserves sur le classement, eu égard au chemin de fer de Paris à Mantes passant sous l’église ». En effet, depuis son établissement, l’ébranlement que produit le passage des trains provoque de graves désordres sur toute la construction.
Dans la première moitié du XXe siècle, de nombreuses alertes et petites réparations ponctuelles sont effectuées, mais entre la direction générale des chemins de fer et la commune, personne ne veut prendre les responsabilités.
En 1925, l’église est inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques (arrêté du 6 juin) puis classée monument historique par arrêté du 30 mars 1978.
Vers 1950, de nouveaux désordres apparaissent sur la façade Ouest et le clocher, justifiant une campagne immédiate de reprises de fondation. Une première tranche de travaux est exécutée par l’entreprise Léger, en 1960. Rapidement, les travaux ne donnent pas satisfaction, les désordres s’aggravent et, en 1971, la municipalité ordonne l’écrêtement du clocher, la dépose des cloches et du beffroi.
En 1976, une campagne d’étaiement d’urgence est entreprise par l’A.C.M.H. Le clocher est au bord de la ruine et les voûtes de deux bas-côtés de la première travée poussent au vide. Des travaux de consolidation du clocher sont réalisés par l’entreprise Chevalier : ils établissent une ossature interne en béton armé et injectent du ciment dans les maçonneries de façon à rendre l’ensemble monolithique.
En mars 1978, un glissement de terrain au flanc de la pente abrupte se produit à l’Ouest du parvis dans la partie comprise entre la rue de la Chaîne et la rue des Tanneries. L’édifice se trouve alors dans l’attente d’une solution pérenne.
En 1984, sous la direction de l’A.C.M.H. (M. Rochette), les pieux participant aux reprises en sous-œuvre installés trente ans plus tôt, sont coupés : le glissement irrémédiable du terrain, amplifié par l’intensification du réseau ferroviaire, entraînait le clocher et toute l’église dans sa chute. La solution adoptée par Rochette est l’élargissement de la semelle de répartition permettant enfin de répondre de manière définitive aux désordres qui affectaient l’édifice depuis plusieurs siècles.
L’importante campagne de travaux de 1984 avait porté un terme à l’évolution des désordres sur les premières travées occidentales. Les fondations avaient été reprises et des poutres tirant avaient été installées dans les combles, le clocher avait reçu au droit des murs intérieurs un gainage en béton armé sur toute sa hauteur.
Malgré l’importance des sommes engagées, les crédits étaient insuffisants pour achever la restauration extérieure du clocher. En 2000, l’urgence était tout autre : toutes les couvertures sur des charpentes endommagées étaient usées nécessitant la mise hors d’eau générale de l’édifice.
Les travaux se sont naturellement poursuivis entre 2001 et 2004 par la réfection totale des charpentes et couvertures. C’est à cette occasion que nous avons pu restituer sur la totalité des travées du déambulatoire, les toitures en pavillon qui, ainsi dégageaient les fenêtres hautes, permettant à terme la réouverture des baies latérales. Le clocher consolidé de l’intérieur présentait en élévation extérieure un état de délabrement de ses maçonneries avec les fers rouillés des ceintures et platelages dont l’installation remontait à l’époque des consolidations provisoires à plus de 25 ans. On s’y était presque habitué ! C’est à l’appui d’une étude préalable remise en juin 2011 que la restauration du clocher est programmée. Les travaux commenceront le 14 mai et seront achevés fin septembre 2012.
Les échafaudages ont été déposés en début du mois d’octobre dernier révélant alors la tour « reconstruite à neuf sur la ruelle » dans son état d’origine de 1764. La beauté des maçonneries restaurées laisse imaginer ce que donnerait la poursuite des travaux sur les élévations extérieures de l’église. La façade reconstruite en 1764 présente une architecture simple, classique, au fronton triangulaire, bandeaux et chaines de pierre à refend, percée de baies qui matérialisent la nef et les bas-côtés.
Les élévations latérales n’ont pas de caractère particulier, les maçonneries de pierre de taille et de moellons témoignent des différentes campagnes de reconstruction. Les fenêtres, aux ébrasements pour certaines moulurés, ont été agrandies au XVIème siècle. Elles sont équipées de vitraux figuratifs de qualité de la fin du XIXème siècle.
La poursuite des travaux de restauration semblerait être les façades extérieures dans le même esprit que les élévations du clocher. Quant à la sacristie construite en 1878 sans autorisation de l’Administration des Cultes sur avis défavorable de l’architecte diocésain, son état est aujourd’hui préoccupant. Cette construction pose quelques interrogations sur le principe de sa restauration, à l’identique ou modifiée dans sa volumétrie pour mieux valoriser le chevet de l’église.
En cette année du jubilé de Notre Dame de Paris, il est intéressant de souligner la caractéristique principale de l’église Saint-Nicolas édifiée vingt ans plus tôt en 1143 : son plan présente un chevet arrondi sans chapelle rayonnante, de grosses piles cylindriques séparent le chœur du déambulatoire et les tailloirs des chapiteaux portent les colonnettes des nervures des voûtes supérieures. Notre église édifiée dans le domaine royal aurait donc pu apporter quelques données ou réflexion architecturale à la construction de Notre Dame de Paris.
Philippe Oudin, architecte en chef de Monuments historiques honoraire.