« Le LIVRE de POCHE » a soixante-dix ans.
En France, on date volontiers à 1953 l’invention du livre de poche, grâce à la mise sur le marché par Henri Filipacchi de la collection « Le LIVRE de POCHE » mais l’histoire du format de poche démarre en réalité bien plus tôt. L’ancêtre des livres de poche serait le fruit de l’invention d’un imprimeur italien, Alde l’Ancien, au début du XVIème siècle en Italie. Il aurait commencé par créer des caractères italiques qui prenaient moins de place que les caractères romains et aurait imprimé les textes avec ce nouveau procédé sur un petit format.
Sans remonter aussi loin, Jean-Yves Mollier, directeur du Centre d’histoire culturelle, situe son développement à partir du milieu du XIXème siècle, lié à « l’alphabétisation, l’urbanisation, le développement des transports, l’amélioration du niveau de vie et l’existence d’un système éditorial capable d’anticiper ». C’est avec Gervais Charpentier (« Bibliothèque Charpentier »), Louis Hachette et Michel Lévy (« Collection Michel Lévy ») que tout a commencé vers 1838. Ils publient des ouvrages bon marché, de petite taille, maniables, à destination de tous les publics. Ils « cassent les prix » et augmentent les tirages.
Les collections à bas prix vont se multiplier : Bibliothèques des chemins de fer, Diamant, Collection Marabout, Paperbacks, Pocket Books, Penguin Books, Collection Blanche, Collection Pourpre, … chacune cherchant le moyen de vendre et de rester rentable, tant par la nature du papier quelquefois de très mauvaise qualité (pulp, jaspé) que par la nature des publications (série noire, erotic ou pulp fiction) que l’on trouve à partir de 5 centimes (Petite bibliothèque universelle) ou 25 centimes le volume de 200 pages (Bibliothèque universelle, la série A pour les enfants, B pour les jeunes gens, C pour les adultes), ou encore 60 centimes pour la collection des « Auteurs célèbres » sous une couverture jaune et publiée au rythme d’un volume par semaine.
Cependant dans les années qui suivent, cette production suscite la critique d’une partie des éditeurs et écrivains de l’époque et c’est ainsi qu’apparaissent « d’élégants petits ouvrages sur papier de luxe », les « collections bibliophiliques » (Petite bibliothèque de poche, Bibliothèque d’un curieux, Collection Lemerre, Petite bibliothèque littéraire, Petite bibliothèque Charpentier). Arthème Fayard fils lance alors en 1904 la Modern-Bibliothèque au format 19x12cm avec un premier titre accrocheur « Chaste et flétrie » de Charles Mérouvel, puis le Livre populaire, collections concurrencées immédiatement par d’autres éditeurs telle la Nouvelle Collection illustrée avec « Pêcheur d’Islande » et le « Roman d’un spahi » de Pierre Loti.
Il convient ici de citer Jules Tallandier qui fut lui aussi un éditeur populaire avec la collection « Le roman populaire » en 1906 dans laquelle il publia « Roger la honte » du feuilletoniste Jules Mary. En effet, dès 1915 il insista sur la capacité de ce format à « tenir dans la poche du civil ou du militaire » à qui ils destinait ses livres. Toutefois, l’inflation générée par la ou les guerres allait obliger les éditeurs à tenter d’autres stratégies de vente. On voit bien là que l’origine du « LIVRE de POCHE » est tout à fait mercantile.
Officiellement, la collection « Le LIVRE de POCHE » démarre sa vie publique le 9 février 1953 à l’issue de tractations menées par Henri Filipacchi avec Albin Michel, Plon et Calmann-Lévy. Les trois premiers volumes de cette collection éditée par la LGF (librairie générale française) « Koenigsmark » de Pierre Benoit, « Les Clés du royaume » d’Archibald-Joseph Cronin et « Vol de nuit » d’Antoine de Saint-Exupéry. Ils sont vendus 150 francs le volume.
En dix ans, les ventes font plus que décupler : deux millions de volumes en 1953 contre vingt-trois millions en 1963. Douze millions de volumes sont diffusés au cours des quatre premières années, en 1961 cinquante-cinq millions de volumes sont vendus, en 1964 la barre des cent millions est franchie.
Pourquoi un tel succès de la collection ? Plutôt que la force du réseau de distribution, il semblerait que les facteurs économiques de l’époque du lancement jouent de façon importante. Entre 1948 et 1960, la consommation des Français double ; on compte de plus en plus de lecteurs potentiels (reprise de la natalité à partir de 1942), la demande est aussi croissante en matière de culture (étudiants, lycéens de plus en plus nombreux).