Le muguet
Fleur printanière, s’offrant en guise de porte bonheur le 1er mai, le muguet célèbre le retour des beaux jours : « En avril, ne te découvre pas d’un fil… en mai fais ce qu’il te plait ! » prophétise le dicton.
Le nom latin de la plante (Convallaria majalis) indique qu’elle pousse en mai dans les vallées selon la formulation que l’on retrouve dans son nom anglais « lily of the valley ». Son nom français, connu dans les textes depuis 1 200 sous la forme mugue ou musguet, serait un dérivé de musc, altération de muscade, en raison du parfum de la fleur.
Le muguet dans la mythologie
Le « gazon de Parnasse » est la forme littéraire poétique de cette plante, rappelant que le muguet serait l’œuvre d’Apollon, car le maître du mont Parnasse souhaitait un tapis naturel, doux et parfumé, pour que ses neuf muses puissent marcher pieds nus.
Chez les Celtes, le muguet cueilli le 1er mai (au début du premier semestre celte) avait déjà le pouvoir mystique de porter bonheur à ceux qui s’en paraient le jour même.
La légende chrétienne propose plusieurs explications :
- ce pourrait être les larmes que la Vierge Marie a versées lors de la crucifixion du Christ ;
- ce pourrait être les gouttes de sang que saint Léonard, ami de Clovis, ermite réfugié en forêt, perdit dans la bataille qu’il livra contre un dragon ou des démons et dont chacune donna naissance à un pied de muguet ;
- ce pourrait être les larmes versées par Eve lorsqu’elle fut chassée du jardin d’Eden avec Adam ;
- enfin, on dit qu’à la création du monde, le muguet ornait la porte du paradis et que ses divines clochettes tintaient comme des grelots à chaque passage d’un homme vertueux.
Mais pourquoi offre-t-on du muguet ?
En langage des fleurs, le muguet signifie « retour du bonheur ». Au Moyen-âge, mai était le mois des mariages, appelés alors « accordailles ». La tradition voulait que l’on accroche un bouquet de muguet à la porte de la bien-aimée ; la blancheur des fleurs symbolisait la pureté.
A la Renaissance, dans les campagnes françaises, il était de coutume de s’offrir du muguet pour chasser les difficultés de l’hiver. C’est ainsi que le 1er mai 1560, quand le chevalier de Saint-Paul-Trois-Châteaux, Louis de Girard, offrit au futur roi Charles IX, alors de passage dans la Drôme avec sa mère, Catherine de Médicis, un brin de muguet cueilli dans son jardin, le jeune prince âgé de dix ans séduit par ce geste, reprit cette pratique dès l’année suivante, en offrant à chaque printemps un brin de muguet aux Dames de la cour, avec ses bons vœux de bonheur ; la coutume acquit ainsi rapidement ses lettres de noblesse. Il nous reste de cette époque le verbe « mugueter » qui signifie « faire le galant », peu employé mais qui pourrait remplacer l’anglais « flirter ».
En France, dès 1793, le calendrier républicain de Fabre d’Églantine propose une fête du Travail (« jour du travail ») au 3ème jour des sansculottide (le « tridi »), tandis qu’il associe le muguet au « jour républicain », le 26 avril et non le 1er mai, rompant ainsi avec cette coutume royale.
Autrefois, de jolies traditions étaient en usage pour le 1er mai. On organisait des « bals du muguet » où les jeunes filles étaient vêtues de blanc et où les jeunes gens fleurissaient leur boutonnière d’un brin de muguet. C’était le seul bal de l’année où les parents étaient bannis et où les jeunes se retrouvaient entre eux. Une légende du « Triangle des Trois frontières » assurait qu’il suffisait de tremper les lèvres au 1er mai dans le « Maitrank »(1) ou « boisson de mai » (un vin liquoreux composé de vin de Moselle dans lequel des fleurs d’aspérule odorante, appelé aussi « faux muguet », avaient macéré) pour être heureux tout au long de l’année.
Il en est une qui cependant perdure : chaque année, les « Forts des Halles » (même si les Halles se sont depuis longtemps installées à Rungis !) ou les reines du muguet offrent traditionnellement des clochettes au président de la République … un retour à la tradition royale ?
Le muguet et la fête du travail.
Ce n’est qu’au début du XXème siècle que le muguet s’associe à la fête du travail. En effet, le 1er mai 1886 à Chicago, les syndicats américains mettent en marche un mouvement revendicatif dans le but de réclamer la journée de huit heures de travail. Trois ans plus tard, le 20 juin 1889 en leur mémoire, le Congrès de la IIème Internationale socialiste décide de faire du 1er mai un jour de lutte à travers le monde.
Le 1er mai 1890, lors de la première manifestation ouvrière, les manifestants portent au revers de leur veste un triangle rouge qui symbolise le découpage de la journée en trois parties égales : 8 heures de travail, 8 heures de sommeil et 8 heures de temps libre. Petit à petit, le triangle est remplacé par une églantine rouge, symbole des contestations du 1er mai et du socialisme, et parfois par un brin de muguet.
En 1941 sous l’Occupation, le maréchal Pétain déclara le 1er mai « Fête du Travail et de la concorde sociale » afin de rallier les ouvriers au gouvernement de Vichy. Le jour devint férié, chômé et payé. L’églantine rouge, jusque-là symbole des contestations du 1er mai et du socialisme, fut alors remplacé par le muguet, en fleur à cette période de l’année. Ainsi, la plante porte-bonheur devient également un symbole de la lutte des classes.
Le muguet et la musique
Il faut remonter loin pour trouver des traces de muguet dans la musique : Félix Mayol, célèbre auteur de « Viens poupoule », en fit son objet fétiche. Selon une anecdote publiée dans ses mémoires, faute de trouver un camélia pour mettre au revers de sa redingote à l’image des élégants de l’époque, il le remplaça par un brin de muguet. Son premier concert en 1895 fut un tel succès qu’il décida de conserver ce muguet porte-bonheur à la boutonnière.
Au XIXème siècle autour de Paris, les cueillettes de muguet donnaient lieu à des fêtes populaires comme celles qu’organisèrent les grands couturiers au bois de Chaville situé en région Île-de-France. Ils offraient à cette occasion des bouquets à leurs clientes et à leurs ouvrières. A partir de 1956, pendant plus de dix ans la fête du muguet durait en ce lieu quinze jours ! Est-ce en rapport que Pierre Destailles a écrit en 1950 : « Tout ça parce qu’au Bois de Chaville, y avait du muguet »(2) … une invite à une réflexion sur le sens de la vie.
Enfin, certains se souviennent peut-être d’avoir fredonné : « Il est revenu le temps du muguet Comme un vieil ami retrouvé ». Il s’agit d’une vieille chanson traditionnelle russe « Les Nuits de Moscou ». C’est Francis Lemarque qui en a signé les paroles françaises en 1959. Elle a été interprétée par l’auteur et par d’autres artistes comme Danielle Darrieux, Mireille Mathieu, Ivan Rebroff …
C’est une tradition du 1er mai :
La vente de muguet dans la rue par des particuliers. Il se vend en France chaque année environ 50 millions de brins de muguet (vendus à l’unité ou en pots), 80% de la production étant réalisée dans la région nantaise. Mais cette pratique relève d’une tolérance et doit respecter certaines règles : pas question pour les particuliers de faire une concurrence déloyale aux fleuristes.
Mais attention derrière cette plante délicieusement parfumée se cache un redoutable poison tonicardiaque. Ses clochettes blanches mais aussi ses baies rouge vif sont mortelles. Le muguet contient en effet de puissants stéroïdiens dont les effets sont proches de ceux de la digitaline. Son ingestion provoque vomissements, douleurs abdominales et problèmes cardiaques pouvant entraîner la mort. Alors, pour éviter tout risque d’intoxication, voici des mesures de prévention simples à appliquer :
- ne laissez pas traîner l’eau du vase,
- ne mettez pas un brin de muguet au coin de la bouche, comme on peut le faire avec un brin d’herbe,
- lavez-vous les mains après avoir touché la plante,
- expliquez à votre enfant que le muguet est joli, certes, mais dangereux
Avec ce brin, je vous souhaite à tous beaucoup de bonheur.
Quelques compléments :
Recette de base du maitrank traditionnel:
- 1 litre de vin blanc Elbling (cépage de la Moselle luxembourgeoise à préférer pour l’authenticité, mais le Rivaner ou le Riesling de Grevenmacher peuvent également convenir),
- 12 brins d’aspérule odorante avec les fleurs non écloses,
- 50 gr de sucre,
- 5 cl de cognac ou d’armagnac,
- 1 orange en tranches
Laissez macérer le tout pendant deux jours, puis filtrer la macération et embouteillez.
Quelques paroles de chansons citées ci-dessus :
Tout ça parce qu’au bois de Chaville de Pierre Destaille
Ce jour-là au Bois d’ Chaville
Y’avait du muguet
Si ma mémoire est docile
C’était au mois d’mai
Au mois d’mai dit le proverbe
Fais ce qu’il te plaît
On s’est allongés sur l’herbe
Et c’est c’qu’on a fait
Comm’ nous étions sous les branches
Bien dissimulés
Sam’di-Soir et Franc’-Dimanche
N’en n’ont pas parlé
Le lend’main d’cett’ aventure
Nous avons ach’té
Un traité d’puériculture
Et d’quoi tricoter.
Tout ça parc’ qu’au bois d’Chaville
Y avait du muguet.
Quand je songe aux conséquences
De ce jour charmant
Je me sens rempli d’avance
D’un très grand tourment
Car par ma faute il va naître
Un pauvre ingénu
Qui va forcément connaître
Tout c’que j’ai connu
Le pion, l’adjudant d’semaine
Le meilleur ami,
Autant de choses inhumaines
Plus qu’il n’est permis
Et des tas d’choses inutiles
Comm’ les traités d’paix
Les savants, les sergents d’ville
Et l’chef du budget.
Tout ça parc’ qu’au bois d’Chaville
Y’avait du muguet.
On t’apprendra l’cod’ civique
Et la probité
Si tu les mets en pratique
Tu s’ras exploité
Par contr’ si tu t’en balances
Tu s’ras respecté
Et selon toute évidence
Tu s’ras député
Pour te fair’ faire connaissance
De la liberté
Tu seras dès ta naissance
Fin’ment ligoté
Tu pourras souiller ton lange
Afin d’ protester
C’est tout d’mêm’toi, petit ange
Qui s’ras embêté
Tout ça parc’ qu’au bois d’Chaville
Y avait du muguet.
On t’enverra fair’ la guerre
Dans les fantassins
Pour que ceux de la dernière
Soient pas morts pour rien
C’est c’qu’on a dit à mon père
Et c’est c’qu’on m’a dit
Ça r’vient d’façon régulière
Tout comm’ les radis
Voilà mon cher petit homme
Tout ce qui t’attend
Parc’ que j’ai croqué la pomme
Un jour de printemps.
C’est peut-être une folie
Mais si tu voyais
Comm’ ta maman est jolie
Tu me pardonn’rais
D’avoir été à Chaville
Cueillir du muguet
Le temps du muguet de Francis Lamarque
Il est revenu le temps du muguet
Comme un vieil ami retrouvé
Il est revenu flâner le long des quais
Jusqu’au banc où je t’attendais
Et j’ai vu refleurir
L’éclat de ton sourire
Aujourd’hui plus beau que jamais
Le temps du muguet ne dure jamais
Plus longtemps que le mois de mai
Quand tous ses bouquets déjà se sont fanés
Pour nous deux rien n’aura changé
Aussi belle qu’avant
Notre chanson d’amour
Chantera comme au premier jour
Il s´en est allé le temps du muguet
Comme un vieil ami fatigué
Pour toute une année pour se faire oublier
En partant il nous a laissé
Un peu de son printemps
Un peu de ses vingt ans
Pour s´aimer pour s´aimer longtemps.