Le salaire de l’apport
Nous vous invitons dans cette courte réflexion à aborder divers sujets à partir de la question du juste salaire, vu par la doctrine sociale de l’Eglise.
Un juste salaire « permet au travailleur de subvenir à ses besoins, à ceux de sa famille et de se constituer une épargne », nous dit le pape Léon XIII. Et puisqu’on utilise l’adjectif « juste », qui est relié à justice et à justesse, redisons ici ce qu’est la justice : elle est de « rendre à chacun ce qui lui est dû ». La justesse, elle, c’est de tenir compte des réalités : « être ajusté ».
La notion de droit est doublement présente dans la définition du « juste salaire » : dans celle de besoins et dans ce qui est « dû ». Mais on le voit, elle est immédiatement reliée à celle de « devoir ». La philosophe du travail, Simone Weil (décédée en 1943), commence son livre « l’enracinement » par une réflexion sur les droits et les devoirs, en hiérarchisant ces deux principes : le droit est le moyen de remplir ses devoirs et le devoir de chacun, dans une société, est supérieur puisqu’il est une réponse à la dignité inconditionnelle de toute personne.
Exercer des droits sans qu’ils répondent à un devoir est un abus de droit, une spoliation du bien commun. C’est aussi ce que dit le pape François lorsqu’il fustige nos sociétés consuméristes qui s’arrogent des droits au détriment des ressources naturelles, qui appartiennent à tous (« destination universelle des biens ») et en particulier aux générations futures. Ainsi, nos « appétits » (nos désirs) doivent-ils être soumis à notre raison, en particulier lorsque nous achetons des biens : « en ai-je besoin ou en ai-je envie ? Pourquoi et pour quoi faire ? » ou encore : « est-ce que je prends ou bien est-ce que je reçois ? », car un même acte peut être spirituellement très différent selon l’attitude du cœur.
La justice sociale est de rendre à chacun ce qui lui est dû.
Ainsi, les fruits du travail doivent être équitablement répartis entre tous les acteurs : actionnaires, salariés, investissements. C’est une partie du sens de la Participation, mais saint Benoit nous dit que la participation est plus grande : elle engage tout l’être dans le bien commun. Participer aux décisions, à la gestion, à la réalisation du projet commun : la participation est un devoir mutuel. Elle permet beaucoup de choses humanisantes. La Participation aux bénéfices n’est qu’une petite partie de la justice. Avoir un travail est un élément de la justice sociale puisque le travail est un droit en vue du devoir d’humanisation que nous avons tous, vis-à-vis de nous-mêmes : déploiement des talents, don de soi à la collectivité. L’aspect pécuniaire ne peut pas tout couvrir. Saint François lui-même nous dit (cité par Anouk Grévin) que tout service a une part de gratuité, de non-convertible en argent. C’est le professionnalisme, le zèle… c’est en réalité l’huile qui fait que la machine ne se grippe pas.
Dans la conception chrétienne du travail et du travailleur, celui-ci est bien mieux qu’un mercenaire qui sert son intérêt et se vend aux intérêts des autres. La déchristianisation et les idéologies qui remplacent l’humanisme chrétien nous font oublier la beauté du travail humain, la profondeur de tout ce qu’il met en jeu. Cette petite réflexion sur le juste salaire nous ouvre mille perspectives passionnantes qui redonnent du sens non seulement au travail mais à notre engagement politique, syndical, associatif, au service du bien commun.