Les grands magasins parisiens
Au début du XIXe siècle, Paris fait figure du passé. Elle est devenue une ville insalubre, dense et très peu pratique sur le plan des transports. En 1853, le baron Haussmann, préfet de Seine, a la mission « d’aérer, d’unifier et d’embellir la ville » pour en faire la capitale la plus prestigieuse d’Europe. Des métamorphoses spectaculaires ont lieu et des quartiers entiers sont rasés, laissant place à des parcs et des squares. Boulevards et avenues rectilignes voient le jour créant ainsi un réseau de circulation à la mesure de la ville. Jamais de toute son histoire, Paris n’avait subi une transformation aussi rapide et radicale. C’est sur ces éblouissants boulevards que se déroulera l’histoire des grands magasins.
Tout commence avec Aristide Boucicaut.
A son arrivée dans la capitale, il devient chef du rayon « châles » au « Petit Saint-Thomas », boutique de nouveautés. A la fermeture de celle-ci, il est embauché par les frères Videaux qui ont créé leur mercerie « Au Bon Marché » à l’angle des rues de Sèvres et du Bac. Il partage avec ses employeurs le goût du commerce moderne qui commence à se développer, coïncidant avec l’émergence d’une bourgeoisie prête à dépenser.
Devenu propriétaire de la petite boutique en 1852, il ambitionne de créer un vaste magasin généraliste où tout doit favoriser la consommation. Mais pour réaliser ces nouveautés, « Le Bon Marché » doit s’agrandir. Aristide déborde d’idées nouvelles et souhaite un grand magasin à étages équipé d’ascenseurs. Avec l’achat progressif des boutiques et logements mitoyens, les travaux sont confiés à l’architecte Louis Bouleau et l’ingénieur Gustave Eiffel qui vont concevoir des nouveaux bâtiments à structure métallique : une véritable cathédrale toute dédiée au commerce.
A la fin des travaux, ce sera un bouleversement complet pour le consommateur : libre accès et libre toucher sans obligation d’achat, marchandises à profusion disposées sur des comptoirs, articles très bon marché et à prix fixes affichés, vente par correspondance, envoi franco de port, livraison à domicile, expositions temporaires (le Blanc, jouets de Noël), périodes de soldes, reprise ou échange, vendeuses et vendeurs formés pour conseiller le client… on y vendait même de l’alimentation. L’usage de la réclame est systématisé : publicité dans la grande presse, affiches, catalogues, vitrines. La révolution commerciale était née.
Ces concepts révolutionnaires invitent toute la clientèle féminine à sortir de chez elle pour venir passer quelque temps au magasin, un buffet gratuit y est proposé. Dans les galeries spacieuses qui se trouvent à l’angle des rues du Bac et de l’Université, Boucicaut a l’idée originale d’installer un âne pour promener les enfants des clients et leur offrir des cadeaux symboliques comme des ballons.
« Le Bon Marché » devient le plus grand magasin du monde avec quatre mille employés dans les années 1880 – 1890. Le concept sera rapidement copié en France comme à l’étranger. Les concurrents parisiens se multiplient : le Bazar de l’Hôtel de Ville et la Belle Jardinière en 1856, le Printemps en 1864, la Samaritaine en 1869, les Galeries Lafayette en 1894 ; la plupart de ces créateurs étaient d’ailleurs d’anciens employés du « Bon Marché ».
A leur origine, ces magasins étaient conçus pour recevoir toutes les catégories sociales. Au fil du temps, leur cadre prestigieux, leurs coupoles magistrales sont devenues des écrins abritant un assortiment de produits de luxe, de créateurs de mode renommés et une évolution nourrie par l’arrivée en masse de touristes.
Ces hommes, qui ont imaginé ces magasins d’un genre nouveau, ont jeté dès le XIXe siècle les bases du commerce moderne et de la société de consommation contemporaine. Ils ont aussi, sans peut-être s’en douter, conduit les femmes sur le chemin de l’émancipation.
Pour se replonger dans cette époque foisonnante, je vous invite à lire ou relire le roman d’Émile Zola « Au Bonheur des Dames » où Aristide Boucicaut a servi de modèle au personnage principal d’Octave Mouret.