Libération de Juziers
Au moment où je rédige cet article, les villes et villages de notre région commémorent les 75 ans de leur libération. A Juziers comme ailleurs, les anciens n’ont pas oublié ce qu’ils ont vécu, jour et nuit dans la peur des bombardements mais avec l’espoir de voir enfin le bout du tunnel, après quatre longues années d’occupation allemande.
J’ai rencontré Maurice Morin, Juziérois de naissance, témoin de cette époque. Sa mémoire est toujours aussi infaillible et c’est avec plaisir que je l’ai écouté me raconter les souvenirs de la libération de notre village. Maurice est un passionné de l’histoire du pays. Mais d’où vient cette passion ?
Entré en 1942 comme ouvrier à la cimenterie « Poliet et Chausson » de Gargenville, Maurice part en retraite en 1984. Durant ces quarante-deux années, attentif à l’évolution de l’usine, il prend des centaines de photos. Entre temps, aidé de Jean Besch et Jean Godde, deux camarades de son âge également passionnés par le passé, ils commencent tous trois une collection de cartes postales sur Juziers et entreprennent plusieurs expositions à la Maison Pour Tous : succès assuré auprès du public ! Le déclic sur le passé a lieu en 1989 lorsque les trois amis se rendent aux fêtes du bicentenaire de la Révolution à Versailles. Commencent alors de longues journées de recherches aux Archives départementales des Yvelines, Chartres, Rouen, Cergy Pontoise… et même les Archives Nationales de Paris. Riches de centaines d’informations, ils constituent alors d’énormes dossiers. L’Association « J.D.H. » est créée et c’est grâce à tous ces documents et informations que le livre « Juziers Dans l’Histoire » paraît en 2008 avec la collaboration de Ghislaine Denisot et Jean Leblond, tous deux membres de l’association.
Geneviève Forget
Mais revenons à la libération du village !
Juziers – Août 1944 – j’avais 17 ans.
Huit jours avant sa libération
La population de Juziers couche dans les caves, dans les carrières du Marais, d’Aumont, dans le conduit de la ravine, sous la ligne de chemin de fer qui a été aménagée en dortoir car on craint les combats que vont se livrer les Allemands et les Américains.
Pourquoi les Américains restent-ils à Mantes ?
Les rumeurs les plus folles circulent. Juziers est coupé de la rive gauche de la Seine. Les ponts routiers de Mantes, Rangiport et Les Mureaux sont détruits. Plus aucun train ne passe : le pont de chemin de fer à Limay, face à la Cellophane est détruit ainsi que le pont Eiffel à Conflans. Plus de communications !
L’essence est rationnée pour les quelques personnes qui possèdent une voiture. Toutes les industries sont arrêtées. Mais le problème le plus crucial est le ravitaillement des habitants.
La viande manquant, les lapins et les œufs vont résoudre ce problème.
Le pain. La farine étant rare, M. Bocage, boulanger, réussit à convaincre quelques cultivateurs de lui remettre des sacs de blé. Un groupe de jeunes gens très dévoués, munis d’une charrette à bras, apportent ces sacs au moulin de l’Aubette à Meulan. Ils se font arrêter par les Allemands à l’entrée du barrage de Mézy. Malheureusement, suite au contrôle d’identité, Pierre Laumant et Robert Delplanq sont emmenés à la Kommandantur située à la hauteur du passage à niveau d’Hardricourt.
Leurs camarades réussissent néanmoins à passer. Arrivés au moulin, pas de courant ! Le meunier leur demande de laisser le blé afin de le moudre aussitôt que possible. Repartant pour Juziers, ils sont de nouveau arrêtés par les Allemands de plus en plus agressifs, remontent par Mézy pour éviter la route nationale. Ils s’arrêtent chez la tante de l’un des jeunes gens car les Allemands patrouillent dans Mézy et regagneront Juziers par Apremont. Grâce aux cultivateurs qui ont écrasé du grain, le boulanger a réussi à faire la soudure avec de la farine et du son. Merci à tous pour leur dévouement. Nous ne reverrons plus Pierre et Robert, exécutés par une balle dans la tête par les Allemands ; ils reposent au cimetière de Juziers.
Vendredi 18 août 1944 au soir, la 79ème D.I du corps américain est à Longnes et Perdreauville.
Entre 13 h et 16 h, vingt et un cultivateurs de Juziers sont réquisitionnés par les Allemands. 21 h, départ vers Beauvais, les tombereaux chargés de matériels de guerre. Tirs d’artillerie américaine sur la sente de la Noue l’Abbé : quatre impacts d’obus. Est-ce la route nationale qui était visée ou la voie ferrée ? Dans la nuit du 18 au 19 août, l’armée allemande fait sauter ses dépôts de munitions provoquant la destruction partielle du château de la Sergenterie (aile ouest) et totale d’une ferme112 avenue de Paris.
Samedi 19 août au soir, la 79ème D.I, 3ème armée du 15ème corps américain, est à Mantes, Rosny et Méricourt. Cette division est commandée par le général Ira Wyche.
Retour des cultivateurs dans la soirée. Ils sont allés jusqu’au Mesnil Théribus (près de Beauvais).
Dimanche 20 août au soir, la 79ème D.I. du corps américain est sur la rive droite de la Seine à Limay, Dennemont et Follainville.
Le chalet de la Rivière est incendié dans l’après-midi par l’armée allemande. C’était un dépôt : habillement vivres et munitions. Selon la rumeur une fabrique de faux billets y était installée.
Lundi 21 août, reconnaissance des Américains à La Roche-Guyon et Viennes en Arthies.
Mardi 22 août, les Américains sont aux abords de Fontenay Saint-Père, Guitrancourt et font une apparition à Gargenville.
Mercredi 23 août, libération de La Roche-Guyon par l’armée américaine. Une première victime civile de 46 ans, avenue de Paris, est tuée par un obus vers 3 h du matin.
Jeudi 24 août, libération de Gargenville par l’armée américaine.
Vendredi 25 août, libération de Paris par la 2ème D.B du Général Leclerc.
Samedi 26 août, libération des Mureaux par l’armée américaine.
Dimanche 27 août, tirs d’artillerie américaine sur Juziers à partir de 15 h jusqu’au milieu de la nuit. Par ces tirs de fusants deux morts sont à déplorer rue de la Fontaine et avenue de Paris.
Parmi la population, il y a aussi plusieurs blessés dont un grave, impasse de la Courtille. Il sera soigné le lendemain à l’unité médicale américaine installée aux Pérelles, puis transporté par leur ambulance à Dreux. Il y décèdera le 5 septembre 1944. Une ferme, rue Blanche Pierre, est incendiée dans la nuit par les tirs de l’artillerie américaine.
Et cette même nuit, vers 2 h 30, dans une cave de la rue de l’Hôtel de Ville, une femme donne naissance à une fille prénommée Christiane, à la lueur d’une lampe à carbure que le souffle des explosions des obus va éteindre à plusieurs reprises.
lundi 28 août, libération de Juziers par l’armée américaine.
Après les tirs d’artillerie, succèdent ceux des mitrailleuses et de la fusillade. Les soldats allemands résistent à l’assaut des soldats américains. Au matin, le bruit des armes s’estompe côté Gargenville, et c’est vers 7 h 30, aux Trois Cornets, qu’apparaissent les premiers soldats américains, venant du quai Léon Chausson. Ces premiers G.I’S parlent italien et l’on apprend alors avec stupeur que si la résistance des soldats allemands avait duré après 8 h du matin, l’aviation alliée aurait bombardé Juziers. Puis ensuite, de l’avenue de la République, en file indienne sur chaque trottoir aux aguets, le doigt sur la gâchette, les libérateurs entrent dans Juziers-la-Ville. Les jeeps suivent, les Shermans sont au Mesnil tandis que les combats se poursuivent dans les bois de Juziers et de Mézy.
Enfin libre !
C’est la joie. Ce que je garde de cette matinée, c’est la marche silencieuse de tous ces soldats américains, la semelle de leur chaussure est caoutchoutée (quel contraste avec les bottes allemandes) et leur impressionnant matériel inconnu de nous… Et vers 11 h, ma première Camel et dernière cigarette !
Mais revenons à la réalité : que de dégâts, les toitures soufflées, les rues sont jonchées de tuiles, de verre, de fils électriques, de poteaux de téléphone, d’éclats de pierres, de briques, de branches d’arbres en certains endroits. En fin de matinée, une unité médicale américaine est installée aux Pérelles. Et à Apremont, au bout de la rue des Sablons, une piste d’aviation légère voit le jour.
Après l’euphorie, le bilan de ces jours tragiques fait état de :
- trois jeunes gens assassinés par les Allemands,
- quatre civils tués par les tirs de l’artillerie américaine,
- un château partiellement détruit,
- une maison bourgeoise incendiée,
- deux fermes détruites,
- deux cent trente maisons ou bâtiments sinistrés suite aux tirs de quinze mille obus fusants ou percutants de l’artillerie américaine, sur le territoire de la commune.
La forêt de Juziers a subi de graves dommages (soixante-quinze ans après, bien des arbres recèlent encore dans leur tronc des éclats de fusants).
Au cours de ces combats, combien de soldats américains et allemands ont trouvé la mort sur le territoire de Juziers ?
Maurice Morin