L’intelligence artificielle
« L’intelligence artificielle a envahi sans tambour ni trompette toute notre existence ». Cette phrase mérite d’être décortiquée.
Qu’est-ce que l’Intelligence ? C’est la faculté de comprendre le monde et de discerner des buts et des moyens afin de prendre des décisions. L’intelligence humaine est sensorielle, émotionnelle et cognitive, associant tous ces paramètres pour produire des actes libres. La liberté est d’autant plus grande que l’intelligence ainsi comprise est exercée : elle est ce qu’on appelle un « habitus ».
L’intelligence artificielle est essentiellement cognitive. Elle est de deux ordres : algorithmique et computationnelle :
- l’algorithmique a la capacité de générer des processus de compréhension et de décision, qu’on appelle des algorithmes. Ils sont fondés sur des apprentissages et de l’auto-programmation. Le terme anglais est « machine learning » ou « deep learning ». C’est cette intelligence qui a été mise en œuvre dans les matches les plus récents de jeux de société. Ni l’algorithme généré, ni les décisions prises par cette forme d’I.A. ne sont prévisibles et reproductibles (« déterministes »), ce qui pose une question éthique pour l’Homme lorsque la machine procède à des décisions autonomes ;
- l’intelligence computationnelle est surtout fondée sur des traitements de masses de données antérieures (réputées « vraies ») ; les algorithmes analysent un très grand nombre de possibilités et proposent des solutions sur des critères de maximum de vraisemblance compte-tenu des données antérieures qui leur ont « appris » ce qu’on attendait d’eux. Typiquement : les propositions du navigateur internet Google, d’Amazon ou de YouTube.
L’I.A. se nourrit donc de données et donc d’informations issues de capteurs, ce qui la rend aussi sensorielle.
En revanche, l’IA n’a pas d’intelligence émotionnelle. Et ce serait se méprendre que de dialoguer avec un robot (Chatbot) comme avec une personne, quand bien même ce robot serait capable d’intégrer des informations sur vos propres émotions par ses capteurs : débit de parole, timbre de la voix, température de la peau… Le bon test est de savoir si, dans une conversation avec un chatbot, vous seriez capable de le débrancher sans état d’âme. Une hésitation ? Alors vous lui attribuez un statut qu’il n’a pas, celui de personne vivante, par « anthropomorphisme ».
« Sans tambour ni trompette » : oui, on ne nous a pas demandé notre avis et, encore moins, on ne nous a pas informés que tel ou tel service était désormais assisté ou opéré par de l’I.A. Pourtant, les changements anthropologiques sont tels qu’il y aurait eu matière à aborder la question AVANT que les décisions soient prises. Mais ces décisions, n’est-ce pas, sont un tel gain de productivité, de confort, d’efficacité, de créativité… que la question ne se posait même pas : l’I.A. était une évidence.
L’I.A. a-t-elle « tout envahi » ? Eh bien pas tout à fait tout, mais presque. Nombre de fonctions d’accueil téléphonique sont des chatbots. Oh, pas ces répondeurs automatiques « pressez 1, pressez 2 », qui ne sont que des enregistrements, mais de vrais robots interagissants qui analysent vos parole et répondent à vos requêtes. Vous ne vous en êtes pas rendu compte ? Normal, c’est fait pour.
Elle a envahi certains espaces industriels grâce à la réalité augmentée, qui superpose au réel des informations pour vous guider dans vos opérations. On trouve cela également en médecine de pointe. Et le logiciel Watson se prend pour un docteur… mais là aussi, ne nous laissons pas abuser : si Watson sait poser un diagnostic et prescrire un traitement, on ne peut pour autant pas parler de « soin », c’est-à-dire de prise en compte de toute la personne malade, son histoire, sa psychologie, ses croyances, son système de valeurs, etc. qu’un médecin sous pression ne prend parfois pas le temps de faire, ce qui met en danger sa profession car alors, le recours à l’I.A. est perçu comme une vraie substitution possible dans les déserts médicaux.
L’IA a envahi tout le commerce électronique :
Avec la 5G, tous les objets seront connectés en « sans fil » – et vous ne le saurez peut-être pas, ou vous n’aurez pas le choix, parce que la génération antérieure d’objets sera tombée en panne par obsolescence programmée. Il sera difficile de se soustraire à la connectivité. Tous vos gestes et paroles seront captés et génèreront des données, rassemblées en « métadonnées » à traitement sociologique et commercial, car comme disaient Adam Smith le libéral et Karl Marx le socialiste : tout est marché. Et Mandeville d’ajouter : le vice est encore plus rentable que la vertu parce qu’il ouvre beaucoup plus de marchés, de commerce.
L’IA a également envahi nos personnes mêmes : le sentiment de pouvoir plus fait désirer plus et immédiatement. Nous sommes comme des enfants dans la pensée magique : tout ce que je veux, et tout de suite. Mais les enfants qui restent dans la pensée magique sont insupportables et créent des enfers autour d’eux. Qu’en sera-t-il des adultes ?
L’IA propose des choses pertinentes et il est facile d’y acquiescer. Cela contient le risque d’éroder notre capacité de jugement et de nous faire perdre en technicité critique. C’est notre participation à la vie en société qui est sur la sellette : nous consentons à abandonner notre capacité personnelle à agir. Un jeûne d’assistance par l’I.A. s’impose régulièrement pour faire le point sur nos capacités, nos aptitudes, de même que renoncer à prendre la voiture pour de courts trajets nous permet de vérifier notre état physique par la marche.
L’IA pose la question de la responsabilité : Qui va payer ? Vous avez trois heures…
Le chrétien vit dans le temps long : celui du discernement, du murissement des choix libres. Il va visiter son « for intérieur ». Il oriente sa vie vers un bien pour les autres, un bien commun à tous. Le Chrétien n’est pas fataliste : il ne dit pas « nous n’avons pas d’autre choix », car il revendique la liberté des enfants de Dieu, seule capable de permettre l’amour. Sa vie est pour le Ciel, pour l’Amour des autres et de Dieu. Le chrétien se sait planté en Terre pour porter un fruit de générosité. Il n’est pas prédateur ni consent à être victime : il est dissident, comme le furent Soljenitsyne, Saint Jean-Paul II et, en fait, tous les saints. Il utilise l’I.A. et se sait utilisé par elle, s’en amuse, exerce sa liberté, s’autorise de sortir des sentiers battus proposés par les algorithmes. Et il lit des romans d’anticipation, car tout ce qui est rêvé a désormais de bonnes chances d’être une réalité, dans un avenir plus ou moins proche, y compris le transhumanisme. Nous y reviendrons.