Longtemps, après que le poète ait disparu
Il y a tout juste cent ans, le 18 mai 1913 exactement, naissait sous le soleil de Narbonne, tout près de cette belle mer qu’il aimait tant chanter, Charles Trenet, un des plus grands poètes du 20ème siècle. En réussissant à marier poésie et swing, il est sans aucun doute l’inventeur de la chanson moderne et beaucoup de jeunes (et moins jeunes) chanteurs de styles très différents, Jacques Higelin, Julien Clerc, Benjamin Biolay, Alain Souchon, Benabar, Patrick Bruel, voire disparus comme Georges Brassens (il connaissait la plupart de ses chansons par cœur) ou Léo Ferré, reconnaissent en lui leur principale source d’inspiration. Et pourtant sa vie n’a pas toujours été un « long fleuve tranquille »…
Un père notaire… et artiste
Il est né au milieu de cette année triste, naufrage du Titanic, pluies diluviennes sur les vignes de Corbières, dans une famille aisée ; son père est notaire et sa mère, Marie-Louise, qu’il adorera et avec laquelle il a toujours entretenu des relations très fortes, est fille de tonnelier. Pendant son enfance, Charles Trenet ne verra que très peu ce père, parti en 1914 pour la « grande guerre » mais il est indéniable qu’il a hérité de lui, notaire et… violoniste, son grand amour pour tous les arts et la musique en particulier.
Après la démobilisation de son père en 1919, le bonheur des retrouvailles est de courte durée car ses parents divorcent et nous retrouvons notre poète pensionnaire au collège Saint Louis de Béziers puis au lycée Arago à Perpignan ; c’est là qu’il rencontre Albert Bausil, journaliste et homme de lettre catalan, qui lui fera connaître puis rencontrer les plus grands poètes de l’époque. Il lui communiquera une passion pour la poésie qui ne le quittera plus. Charles Trenet écrit à l’époque en cachette pour la revue d’Albert Bausil, « le Coq catalan », il commence aussi une carrière d’artiste peintre ; sa première exposition aura d’ailleurs lieu en 1928, il a à peine 15 ans ! Renvoyé du collège dans lequel il suivait, il faut bien dire laborieusement, ses études, il part quelque temps rejoindre sa mère à Berlin puis revient à Paris où il est engagé comme accessoiriste puis assistant aux studios de Joinville. En 1931, il rencontre à la Coupole Max Jacobs et Jean Cocteau, puis un peu plus tard Johnny Hess, un jeune pianiste de jazz suisse avec lequel il va former le duo « Charles et Johnny ». Ils se produisent alors dans les cabarets parisiens, et en particulier au « Fiacre », puis un peu plus tard au « Bœuf sur le toit ».
Il devient le « fou chantant » !
Parallèlement à ces récitals, le duo enregistre les premières « réclames » ; ils animent même une émission sur « le Poste parisien ». Lorsqu’il est incorporé en 1936, Charles se sépare de Johnny ; il compose alors seul ses premiers succès et c’est Maurice Chevalier qui enregistre en 1937 le premier d’entre eux : « Y a d’la joie ! » ; il présente alors l’auteur-compositeur sur la scène du Casino de Paris. Dès 1938, Charles Trenet devient « le fou chantant », un surnom qu’il gardera toute sa vie ; il enchaîne les tours de chant à travers la France et reçoit le Grand prix du disque pour sa chanson « Boum ». Il entame aussi une carrière de comédien en tournant dans « La route enchantée » et « Je chante » ; à la même époque, il publie aussi son premier roman. En 1939, Charles Trenet est mobilisé à Istres, sa mort sera même annoncée par « Paris soir » ; toute cette période de guerre de 1939 à 1945 restera très trouble pour notre poète qui trouvera pourtant l’inspiration pour composer, en moins de vingt minutes entre Béziers et Montpellier, un de ses plus grands succès, « La mer » ; suivront beaucoup d’autres chansons, comme « Douce France » (très chantée par les maquisards) ou « Que reste-t-il de nos amours ? » qu’il enregistrera plus tard. Lui qui était considéré par les nazis comme un chanteur décadent, sera même soupçonné de collaboration à la fin de la guerre ; heureusement, un comité d’épuration balayera rapidement cette stupide accusation. Il part en tournée aux Etats-Unis en 1945, et au cours de ce voyage, il découvre le Québec, dont il tombera amoureux. Dans les années 50, il enchaîne les tournées en France et à l’étranger et les concerts à Paris, l’Olympia, plusieurs fois, l’Alhambra, le théâtre de l’Etoile et en province. Il résiste plutôt bien à la vague Yé-yé des années 60 et malgré quelques soucis avec la justice qui se solderont par un non-lieu, continue de composer de nouvelles chansons comme « Fidèle » en 1971 ou « Chansons en liberté » en 1973. En 1979, la mort de sa mère tant aimée, Marie-Louise, , entrainera deux longues années pendant lesquelles il restera à l’écart des scènes et des médias.
Il revient, plus fringant que jamais et triomphe en 1983 au Printemps de Bourges, devant plus de dix huit mille jeunes surpris par le dynamisme de cet octogénaire et conquis par la beauté et la simplicité des textes. Après de nombreux concerts, théâtre des Champs Elysées, Châtelet, palais des Congrès, il donne son dernier récital en 1999 à la salle Pleyel. Complet bleu, œillet à la boutonnière, chapeau à la main, il propose alors au public enchanté un florilège de ses plus grands succès, et ce concert, qu’il terminera sur une chaise, restera pour ceux et celles qui y ont assisté un moment inoubliable. Victime d’une ultime attaque cérébrale, il meurt au début de l’année 2001 à l’hôpital Henri Mondor de Créteil.
Que reste-t-il des soixante-dix ans de carrière de ce touche à tout bondissant qui aimait à dire « il faut savoir garder quelques sourires pour se moquer des jours sans joie » ? D’abord des chansons, près de mille dont soixante-dix succès internationaux, presque toutes gaies, en tous les cas à priori car, lorsqu’on y regarde un peu mieux, on peut voir que s’y cachent une certaine nostalgie et même un peu de tristesse, des livres, des films, des toiles, etc., mais sa plus grande réussite est sans doute d’avoir réussi à faire descendre la poésie dans la rue, ce n’est déjà pas mal, non ?
Si vous êtes comme moi, un « fan » de Charles Trenet, ne manquez pas :
Expo-Charles Trenet, le fou chantant ! du 12 avril au 30 juin à la galerie des bibliothèques de Paris, 22 rue Malher, Paris 4ème, tel 01 44 59 29 60. Horaires d’ouverture : du mardi au samedi 13 h à 19 h, nocturne le jeudi jusqu’à 21 h – tarif 6 €, tarif réduit 4 €, demi-tarif 3 €.