« Notes intimes » de Marie Noël
Les « Notes intimes » de Marie Rouget dite Marie Noël (1883-1967), l’un des plus grands poètes catholiques français, ont été publiées huit ans avant sa mort. Ecrites au jour le jour pendant plus de vingt ans, du lendemain de la Première Guerre mondiale jusqu’aux années 40, elles restèrent totalement inédites jusqu’en 1959.
Ces Notes ne cessent de surprendre par leur « âpre suc », qui inquiétait l’auteur, effrayée elle-même par l’audace de ses pensées. Leur grandeur et leur force proviennent de cette audace, servie par la vigueur d’une prose libérée des conventions, et qui passe de la vivacité familière ou de l’humour noir à la gravité ou à la ferveur. Secouée par une grave crise religieuse, elle commence à rédiger, en marge des premiers poèmes qu’elle édite à compte d’auteur sous le pseudonyme de Marie Noël, des notes éparses, « quelques notes, bon an, mal an, pas davantage ».
Marie Noël se confie à elle-même ses angoisses et ses doutes. L’effroi de la mort, toujours présent mais toujours dominé dans sa poésie, est ici source de vives douleurs. « En ces redoutables années, j’étais, sans confidence possible, seule en face de moi seule. Qui pénètre jamais, d’ailleurs, jusqu’au réduit où le doute, cette adoration ténébreuse, aborde en tremblant l’infini ? »
Dans cette crise d’angoisse religieuse, l’écriture, celle des Notes intimes ou celle de la poésie, est (avec la foi présente malgré tout) la seule expérience qui permette de vivre en traversant les ténèbres du doute et de la solitude qui sont la terre commune des grands mystiques.
Les lecteurs d’aujourd’hui, qu’ils soient croyants ou non, seront sensibles à cette voix fraternelle qui s’interroge, dans la solitude, sur le sens de l’existence. Distance par rapport aux conformismes, exploration des limites et surtout ardeur d’une foi qui reste fidèle jusque dans le doute : ces « Notes intimes » tiennent le lecteur constamment en éveil tant par leur beauté que par leur profondeur spirituelle. Nous sommes en 1920. Marie Rouget a 37 ans.
Marie Noël, dont toute l’œuvre est publiée chez Stock, a toujours vécu à Auxerre. Entre autres distinctions, elle a reçu le grand prix de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.
Morceaux choisis
« Celui qui n’a besoin de rien, tout lui manque.
Misère de l’homme qui se suffit, de l’esprit comblé de lui-même.
Toute la valeur de l’homme est dans sa recherche, son appel, son désir. » (Page 67)
« Je fais le plus de choses que je peux par amour pour me reposer d’en faire tant par nécessité. » (Page 126)
« Pas trop de maîtrise de soi. Il faut laisser à l’âme la grâce de ses mouvements.
La grâce est liberté. Je préfère quelques légers défauts à l’orthopédie de la perfection. Je le préfère pour le cœur, pour l’âme et pour le style. » (Page 168)
« Le médecin qui soigne un malade, le prêtre qui dirige une âme, me font l’effet de deux coureurs d’aventures qui pénètrent dans une forêt sans chemin, inextricable.
Pour se frayer une route, ils brisent devant eux les rameaux, les lianes, les pousses. Leur passage est une violence et toujours, plus ou moins, une blessure.
Qu’il est grand, qu’il est bon, celui qui ne brise rien ou presque en entrant dans autrui.
Entrer dans autrui, sans voir clair, redoutable risque…
Le Christ seul peut entrer « lorsque les portes sont fermées » … sans effraction, sans ravage. » (Page 64)
« Saint Thomas. Les commentateurs l’accablent de tout leur mépris,
Saint Thomas, le grand Apôtre de la Résurrection,
Parce qu’il n’a pas « cru sans avoir vu ».
Parce qu’il apporte au monde incrédule le témoignage nécessaire, le témoignage de fait dont ses frères, les « bienheureux », n’eurent pas besoin.
Moins heureux qu’eux. Plus sûr.
Grâce à lui qui voulut « toucher », la gloire de Dieu éclate.
Ainsi Dieu se sert de tous. Et par celui qui douta Il évangélise ceux qui doutent. » (Page 107)
« La sainteté, ce n’est pas une vertu, ce n’est pas toutes tes vertus.
La sainteté, ce n’est pas tes qualités les plus éminentes, ce n’est pas tes sacrifices les plus héroïques, ce n’est pas ta perfection.
La sainteté, c’est Moi, Dieu, en toi, l’homme. » (Page 61)