Notre Dame de Paris nous parle
On a tant écrit sur moi qu’aujourd’hui, je souhaite prendre la parole, pour vous compter, non pas tous les événements de ma longue existence, mais quelques moments importants.
Je naquis au cœur de Paris, dans son berceau « l’Ile de la Cité », parcourue d’étroites ruelles laissant place à de nombreux monuments religieux. Il a fallu un sacré « coup de balai » pour me permettre de déployer mes 127,50 mètres de long et mes 40 de large. Ainsi fut sacrifiée la vénérable église Saint Etienne qui se trouvait à l’emplacement de ma façade actuelle et se prolongeait de 40 m sur l’actuel parvis, non loin du baptistère « Saint Jean le Rond » qui, lui, ne sera détruit que lors des grands travaux d’Haussmann au XIXe siècle. A l’emplacement de mon chœur se trouvait primitivement un temple dédiée à Jupiter auquel succéda l’église Sainte-Marie voulue par Clovis en remerciement de la guérison de son fils Childebert (fin Ve siècle). Reconstruite après les invasions normandes, elle était alors devenue cathédrale et avait pris le nom de « Notre Dame ».
C’est elle ma vraie mère que princes et rois n’avaient cessé d’enrichir et qui, pourrait-on dire, mourut en me donnant le jour. Quant à « mon père Maurice de Sully », né à Sully sur Loire, c’était un fils de pauvres paysans, mais grâce à de bonnes études de théologie à l’école du cloître Notre-Dame et à ses dons de prédicateur, il devint chanoine et fut élu évêque de Paris en 1160. Très vite il décida de construire une nouvelle et superbe cathédrale, malgré les protestations de saint Bernard, partisan de la pauvreté évangélique. Tout d’abord il fallut modifier le plan de la Cité par l’ouverture de « la rue Neuve » au centre de ce qui est aujourd’hui mon parvis.
Huit cent cinquante ans se sont écoulés depuis le jour fameux de 1163 où mon cher évêque posa la première pierre, embryon de ce qui allait prendre corps au cours de quatre campagnes de construction aux XIIe et XIIIe siècles. La cérémonie, en présence du roi Louis VII et du Pape Alexandre III eut un grand retentissement et, comme les revenus de l’évêché, la manse épiscopale, ne suffisaient pas à assumer les dépenses, les dons affluèrent de toute part, non seulement ceux du roi, des chanoines et des nobles mais aussi les oboles de pauvres gens, ce qui fit l’admiration du légat du pape.
Certes je n’étais pas la première dans la grande famille des cathédrales gothiques de France, mais ma situation, au cœur de la capitale, favorisa ma renommée qui ne connut guère d’éclipse au cours des âges. Pourtant je dois le respect à mes sœurs de Laon, Senlis, Sens, Soisson commencées avant moi, mais surtout à la basilique saint Denis, consacrée en 1143. Cette œuvre de l’abbé Suger, conseiller des rois Louis VI et Louis VII, connut bien des avatars et des reprises de travaux. La Révolution française ne l’épargna pas car elle abritait les tombeaux des rois de France. Mais revenons à moi qui prit corps en plusieurs étapes : d’abord, sous Louis VII, fut édifié mon chœur avec son maître-autel et mon transept, puis sous Philippe Auguste, ma nef sauf mes premières travées qui seront construites sous saint Louis avec la façade. Soixante quinze années seulement pour réaliser ce chef d’œuvre qui attire chaque année plus de seize millions de visiteurs, pèlerins ou touristes !
On ne vit pas de si longues années sans connaître quelques « liftings » pour réparer des ans les agressions multiples, qu’elles soient naturelles ou dues aux égarements des hommes et Dieu sait si j’en ai connues ! Cette « chirurgie esthétique » fut parfois critiquée comme celle de Viollet-le-Duc après « le viol de la Révolution » mais elle m’a sauvée de la destruction et je pardonne volontiers à ce chirurgien de tant de nos monuments, l’ajout de mes gargouilles, monstres qui sont entrés dans la légende. Je pourrais parler de moi bien plus longuement, compléter mon histoire de toutes les modifications que j’ai subies au cours de ma vie mais je me contenterai de vous inviter à venir ou revenir m’admirer et plus encore participer à ces magnifiques offices qui se déroulent sous mes voûtes plus que huit fois centenaires. J’abrite des siècles d’histoire de France qui m’ont marquée de leur empreinte : du XIIe au XXe siècle, et je vous assure que j’en ai connu des apports et des modifications pour me mettre au goût du jour ou répondre aux exigences de la liturgie ! Ainsi, sous Louis XIV je perdis mon jubé, mon autel, et mon dallage. Bien sûr, beaucoup me préfèreraient dans ma pureté originelle, mais vous ne devez pas oublier que l’Eglise est vivante et que cette vitalité s’inscrit aussi dans ses édifices.
Cette année encore, à l’occasion de mon huit cent cinquantenaire, on me dorlote, j’aurai même droit à un nouveau carillon qui annoncera aux Parisiens, à Pâque 2013, la Résurrection du Christ. Je ne pouvais souhaiter plus beau symbole pour mon anniversaire.
N.B. Prochainement, je vous parlerai des grands évènements qui se sont déroulés sous mon toit.