Où est ton trésor ?
Nous sommes fin juin, début juillet. Les journées sont longues et belles. Les projets des vacances proches suffisent pour nous réjouir. Je pense quand même à ceux encore nombreux qui n’ont pas les moyens matériels ou une situation familiale qui permettent d’envisager « vacances en famille ».
Nous sommes aussi très perturbés par le choc de certaines images et de certaines clameurs. Les photos de l’« Aquarius », ce bateau rempli de sept cents migrants que personne ne veut accueillir, balloté par les vagues au large de nos côtes et sur un autre continent, les cris des enfants qu’on arrache à leurs parents le long de la frontière des USA avec le Mexique, hantent nos esprits et nos nuits en cette veille d’été. Nous sommes partagés entre la peur et l’émotion. Émotion dans nos entrailles de parents qui ne peuvent supporter des actes que nous ne voudrions pas subir. Peur de ces images, peur de l’invasion largement entretenue par certains. Pourtant, entre janvier et juin 2018, quarante-six mille migrants ont traversé la Méditerranée, soit cinq fois moins que dans les six premiers mois de 2016 ! Dans le même temps, mille quatre cents personnes sont mortes.
Ces événements sont peut être déjà loin, sûrement oubliés ! Nous sommes déjà passés à autre chose. Pourquoi en reparler ? Parce que je ne peux pas les oublier. Au moment où j’écris, je viens de vivre une rencontre avec quelques femmes aux parcours divers mais tous très douloureux. Des femmes seules, des familles brisées, des logements exigus, des traumatismes liés à la guerre et à toute sorte de violence. Et pendant que nous nous écoutons, résonne dans les rues toute une excitation avec cris et klaxons, car la France vient de se qualifier pour la finale. Bien sûr, je suis heureux aussi de cette victoire. Après la finale et le but de Mbappé, je rêve que cet enfant de Bondy, aujourd’hui adulé, puisse aider à un autre regard sur les banlieues si riches de potentialités. Et comment ne pas oublier que la moitié de cette équipe gagnante a des origines africaines ? Mais je suis aussi un peu triste: entre ces vies de galère subies et certains joueurs payés autour de trois millions d’euros par mois ! J’apprendrai un peu plus tard que Mbappé, suivi par quelques-uns des joueurs, a renoncé à ses primes, au vu de son salaire !
Je me sens proche du Christ, dont je méditais cette Parole ces jours-ci : « Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : « la moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson ».
Une des joies, et ce n’est pas la moindre, est de voir tant de personnes qui sans bruit sont attentives aux autres. Au moment où notre gouvernement réfléchit à une réforme de l’Etat Providence de l’après-guerre, pour mieux répondre aux nouvelles situations de pauvreté, il est juste et heureux de souligner cette réalité du bénévolat et de l’engagement gratuit de beaucoup dans notre pays. En rencontrant des personnes à la vie brisée par toutes sortes de violences subies, je mêle, à la souffrance de ces récits, la joie et l’étonnement devant plein de générosités cachées. Et ma joie m’éloignait des excitations provisoires du ballon ! Et mes larmes devant un monde aussi injuste, ne trouvaient d’apaisement qu’avec le Christ saisi de compassion. Car dans le cœur et les entrailles du Christ, il n’y a pas que les larmes. Il y a l’amour de Dieu qui promet la victoire d’une autre justice, d’un autre monde, pour ceux qui souffrent et pour ceux qui consolent et agissent. Car ce n’est pas la promesse d’une récompense qui permettrait d’accepter ce monde de violence, comme beaucoup peuvent le penser. C’est l’assurance d’une victoire pour ceux qui se battent aujourd’hui et refusent le repli sur soi.
« Je constate que l’humanité n’a pas su trouver en elle les sources d’une morale de la vie. Empiriquement cela se transmet qu’avec l’acceptation du mystère et l’évocation de l’ailleurs » (Michel Rocard). C’est bien la question de la transcendance qui apparaît dans tous les discours d’aujourd’hui, au cœur de la crise écologique, éthique, et de la dérive d’une économie ultra-libérale, qui suscite tant de convoitises sur les ressources et un profit indécent de quelques-uns sur les cadavres de beaucoup ! C’est bien aussi ce questionnement que nous apportent ces personnes, qui viennent de l’Afrique ou de l’Orient, chrétiennes ou musulmanes ! N’y a-t-il pas là un signe à comprendre pour l’avenir ? Et si ces personnes venues de loin étaient comme les mages qui viennent nous offrir un trésor que nous avons perdu ? Le trésor d’une relation à Dieu, à une transcendance. Ils sont, elles sont, fils et filles d’Abraham, notre père dans la foi. Ils sont, elles sont, des migrants comme lui, obligés de tout quitter, sans racines, pour avancer en s’appuyant sur une force et une présence intérieure. Ils parlent, elles parlent, souvent de leur confiance en Dieu, de façon naturelle et spontanée. Pour nous qui avons perdu le sens de l’intériorité, pensant que nos biens et nos avoirs sont notre force et nous donnent une identité, ne deviennent-ils pas ceux et celles qui nous sauvent et non plus ceux ou celles qu’on ne peut plus ou veut plus sauver ?