« Larmes d’albatre » au musée de Cluny
…Ou les pleurants du tombeau de Jean Sans Peur, duc de Bourgogne
La tradition d’évoquer, à la base des tombeaux princiers, le cortège des funérailles remonte au XIIIe siècle, mais ce n’est qu’au XVe, en Bourgogne qu’il prit une ampleur remarquable sous l’impulsion d’un sculpteur de génie : Claus Sluter. Il ne s’agit plus de bas reliefs mais bel et bien de rondes bosses, petites statues d’environ 40 centimètres, défilant sous les arcades d’un cloître gothique, images de ces convois funèbres interminables comme fut celui de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, le 27 avril 1404 allant de Halle près de Bruges où il était mort jusqu’à Dijon, capitale de son duché ! Selon son vœu, il sera inhumé dans la chapelle de la Chartreuse de Champmol « à deux lancées de flèche » de Dijon, vêtu comme un chartreux.
Mais laissons la parole à nos petits pleurants de Dijon qui, après un périple de deux ans, viennent d’arriver au musée de Cluny à Paris où ils vous convient ; ils y resteront jusqu’au 3 juin 2013 avant de regagner Dijon pour reprendre place sous leur tombeau restauré.
« Nous sommes trente-neuf pleurants du tombeau de Jean sans Peur, fils de Philippe le Hardi et pour la première fois nous avons pris des vacances, quittant non seulement le tombeau de notre prince mais aussi notre bonne ville de Dijon et son musée des Beaux-Arts et même la France ! Cette escapade a été favorisée par des travaux de restauration de la salle des ducs et de ses deux fameux tombeaux. Certes nous avions déjà voyagé quittant la Chartreuse de Champmol, ancienne nécropole des ducs de Bourgogne, pour le musée des Beaux arts de Dijon afin d’échapper au carnage révolutionnaire. Nous n’avons laissé sur place que le fameux « Puits de Moïse » qui est en fait le socle d’un ancien calvaire et le portail de la chapelle funéraire des ducs, deux œuvres magistrales de Sluter aujourd’hui conservées in situ près d’un hôpital psychiatrique construit sur les ruines de la chartreuse.
Cette fois-ci l’aventure était de taille car nous abandonnions aussi notre cadre de vie : le petit cloître gothique sous lequel nous défilons sagement ; il est situé sous la dalle funéraire, en marbre noir qui porte les gisants. Nous avons été sculptés dans de l’albâtre de Grenoble, de Vizille plus exactement, particulièrement pur et que l’artiste a parfois rehaussé de couleur ou d’or pour certains détails. Sans nous vanter, tout le monde reconnaît que chacun de nous est un petit chef d’œuvre que le visiteur apprécie pleinement dans la scénographie choisie pour l’exposition. C’est une évocation linéaire qui met en valeur chaque membre du cortège : deux petits enfants de chœur puis les membres du clergé avec en tête l’évêque, les moines, chartreux drapés, le fameux drapé bourguignon, dans leur bure à capuchon, enfin les seigneurs et les membres de la famille ; chacun sculpté avec réalisme dans les moindres détails exprime la douleur. Il faut venir nous voir pour goûter avec quelle sensibilité nos imagiers (c’est le terme employé alors pour les sculpteurs) ont su rendre vivant ce cortège funèbre.
Les nombreux documents et études conservés ont permis de dater et d’attribuer les œuvres. Si Claus Sluter et son neveu et élève Claus de Werve règnent, à la suite de Marville, sur le tombeau de Philippe le Hardi, pour ce qui est de celui de Jean sans Peur et sa femme, les imagiers sont Jean de la Huerta et Antoine Le Moiturier. La commande de ce second tombeau, traité à l’identique du premier, a été passée en 1443 par son fils Philippe le Bon. Nous vous rappelons que Jean, son père, a été assassiné le 10 septembre 1419 surle pont de Montereau lors d’une entrevue avec le roi Charles VII ! Sachez que nous avons été admirés par six cent mille américains dans les sept musées où nous avons été exposés ainsi qu’à Berlin et bien entendu à Bruges, car la Flandre était unie au duché de Bourgogne jusqu’à la mort du dernier grand duc, Charles le Téméraire en 1477. Présentés dans l’hôtel des abbés de Cluny, un cadre idéal car contemporain de notre naissance, vous pourrez lors de votre visite, et pour le même prix (8 €) voir ou revoir les merveilles de ce musée du Moyen-Age.
Nous vous donnons rendez-vous mais attention, avant le 3 juin ! »
Site du Musée de Cluny