Quelle Europe voulons-nous ?
Les 18 et 19 novembre dernier, la 92ème session des semaines sociales de France (SSF) réunissait mille cinq cents personnes sur le thème : « Quelle Europe voulons-nous ? ».
Cette question a été complétée dès la première conférence par Enrico Letta, ancien premier ministre italien, doyen de l’école des affaires internationales de Science Po Paris, par une autre : « Comment faire l’Europe dans un monde de brutes ? »(1).
Comme l’ont signalé tous les intervenants, depuis sa création, initialement voulue pour préserver la paix, la situation de l’Europe a évolué en interne traversant depuis plusieurs années un ensemble de crises : crise de la solidarité (crise grecque et crise des réfugiés), financière, économique et sociale, crise politique avec la montée des populismes, crise de la sécurité avec le terrorisme et, enfin, crise de citoyenneté avec un désamour croissant des Européens envers les institutions de l’UE, vécues souvent comme des instances de sanction.
Mais la situation européenne a aussi évolué dans le monde : accélération de la mondialisation, montée de grandes puissances économiques venant d’Asie, d’Afrique, évolution démographique : en une génération, l’Europe, qui représentait 1/6ème de la population mondiale, n’en représente plus que 1/20ème. L’Europe ne peut plus être une puissance économique et militaire au centre du monde, un super-état : alors, quelle doit être l’Europe du futur ?
Pour Enrico Letta, elle doit être avant tout une puissance des valeurs : du social, en particulier de l’hospitalité (point souligné par Véronique Fayet, présidente du Secours catholique), du climat, des règles financières, de la démocratie, de la culture, de la solidarité et de l’écologie, les deux derniers étant un préalable à une économie saine comme l’a savamment démontré Gaël Giraud, chef économiste de l’Agence française de Développement. Seul un surcroît de solidarité européenne permettra toutefois de relever les défis, comme celui de réussir le Brexit dont a parlé Michel Barnier, responsable des négociations.
Mais comment ré-enchanter le projet Europe, en particulier face aux anti-européens, eurosceptiques et euro-déçus ?
Côté gouvernemental, Nathalie Loiseau, ministre des Affaires européennes, a déclaré : « un chemin de refondation européenne est indispensable pour que l’Europe offre davantage de sécurité, maîtrise les flux migratoires et mène sa transition écologique et numérique ». Paris a émis plusieurs propositions, a-t-elle rappelé, comme la convergence sociale et fiscale accrue, la relance d’une Europe de la Défense, le renforcement de la zone euro, …
Pour de nombreux autres intervenants, il faut en premier lieu communiquer sur ce que fait l’Europe et expliquer ce à quoi elle sert :
- faire des campagnes d’information sur les actions européennes, sur les projets soutenus au niveau local : qui sait que le quart du budget des restos du cœur vient de fonds européens ? Des accords européens sont aussi de vrais succès : Loïc Armand, vice-président de L’Oréal, faisant part de son expérience sur la construction réussie de directives cosmétiques européennes pour la protection du consommateur, accord obtenu en convergeant d’abord sur les valeurs (par exemple : interdiction des tests sur les animaux) avant les normes ;
- être exigeant vis-à-vis de ceux qui nous représentent ;
- parler aux milieux laissés pour compte par la mondialisation ;
- donner un visage à la coopération européenne, en particulier vis à vis de l’Afrique où l’Europe n’est plus la seule présente comme l’a montré Denise Houphouët-Boigny, ambassadrice permanente de la Côte d’Ivoire à l’UNESCO, insistant sur les attentes de la jeunesse africaine.
Mais il faut aussi travailler sur la connaissance entre nos familles, nos sociétés, nos jeunes. Ce dernier point a été évoqué par Frère Aloïs de Taizé, témoignant des rencontres vécues dans la fraternité et l’hospitalité, comme celles de Berlin en décembre 2017.
Enfin, pour recueillir les attentes des Français en matière d’Europe, des initiatives existent : citons Ariane Forgues et Baptiste Enaud qui, à travers leur association « Des Europe et des hommes »(2), ont réalisé un tour de France avec pour objectif de créer un recueil de propositions citoyennes pour améliorer l’Europe : deux mille propositions citoyennes ont ainsi été réunies et seront communiquées aux décideurs.
Les SSF ont formulé, à l’issue de cette session, une série de propositions. Dominique Quinio, présidente des SSF, a appelé dans ses conclusions à répondre à « la double invitation du pape François aux chrétiens pour qu’ils donnent, avec d’autres, un nouveau souffle à l’Europe et aux autorités françaises à participer activement à l’élaboration de cet avenir renouvelé ».
(1) : Voir le livre : « Faire l’Europe dans un monde de brutes » de Enrico Letta et Sébastien Maillard chez Fayard
(2) : Des Europe et des hommes