Qu’est-ce que la conscience ?
Comment définir, saisir et comprendre ce que l’on appelle la conscience ? En quoi consiste-t-elle ? Ces questions n’ont pas de réponses évidentes, claires et simples.
Aussi, pour y répondre, je vous propose de vous détourner provisoirement de ce que l’on appelle conscience pour s’intéresser à l’usage que l’on fait de ce mot.
Du point de vue de l’usage, le mot conscience se rencontre dans un grand nombre de phrases et d’expressions dans lesquelles il reçoit un très grand nombre de sens différents. Toutefois, il est possible, au sein de cet ensemble, de distinguer trois groupes :
La conscience d’un point de vue strictement physiologique : perdre conscience, être inconscient au sens d’avoir perdu connaissance. Ces expressions renvoient à la conscience comme à une chose qu’on possède et qu’on peut perdre.
La conscience comme la connaissance de quelque chose : prendre conscience de quelque chose, être conscient d’une chose, avoir conscience de telle ou telle chose, soit en soi, soit en dehors de soi. Dans ces expressions, avoir conscience signifie connaître ou penser.
La conscience comme conscience morale : avoir mauvaise conscience, avoir un problème ou un cas de conscience, agir en son âme et conscience, être consciencieux, avoir la conscience tranquille. Et dans le même ordre d’idée, étouffer sa conscience ou être inconscient, c’est-à-dire agir en n’écoutant pas sa conscience ou au mépris de la prudence, dans l’ignorance des risques que l’on court ou que l’on fait courir aux autres.
Compte tenu de l’étendue du sujet je n’évoquerais que la conscience au sens moral.
Parler de conscience morale, c’est parler d’abord d’une expérience courante : celle d’une sorte de petite voix qui nous dit de faire quelque chose ou bien de s’abstenir de le faire. L’expérience d’une sorte de dédoublement, d’un déchirement même parfois entre ce que cette voix exige et ce que nous sommes tentés de faire. Qui n’a pas ressenti un trouble lorsque qu’il faisait ou projetait de faire quelque chose de pas bien ? Cette petite voix ordonne ou exige de nous ce que nous ne sommes pas toujours disposés à faire et, souvent, curieusement, elle parvient à se faire obéir.
Qu’est-ce qui fait l’autorité de cette voix ? Qu’elle nous dise ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est convenable et ce qui ne l’est pas, ce qui est digne et ce qui est indigne.
Un bref retour historique nous éclaire : dans notre rapport à la Vérité, dit Aristote, il y a comme une espèce de divination, donnée par notre conscience : point de rencontre entre la nature divine et la nature humaine. La nature divine crée le Vrai. Et si nous rencontrons la Vérité, nous rencontrons par notre pensée quelque chose de la nature divine. Beaucoup de philosophes non religieux ont vu dans la « conscience », le signe de la nature singulière de l’Homme qui reconnaît comme un dieu, ce qui est vrai et ce qui est faux. Par la conscience dira Cicéron, l’univers devient la patrie commune des dieux et des hommes. Le vrai mal pour Kant c’est de mettre sa conscience en suspens. Rousseau rejoindra ces philosophes en considérant que la conscience nous rend semblable à Dieu : « Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe. «
Nietzsche a une autre vision de la conscience, ses objections sont de deux ordres : une est relative à l’origine de cette voix et de ses impératifs, l’autre relative à la manière avec laquelle on lui obéit. D’abord, en faisant appel très clairement à la conscience réflexive, la conscience qui examine les contenus et les actes de conscience, il invite à comprendre que l’idée selon laquelle ce que dicte la conscience est moral n’est qu’une croyance, c’est-à-dire quelque chose qui n’est pas fondé, qui n’a rien de rationnel : une simple foi en sa conscience ou, comme on l’a vu plus haut avec le texte de Rousseau, une confiance faite à sa conscience qui ne repose sur rien, une confiance accordée sans examen, sans raison valable.
C’est aussi cette thèse qui est défendue par la sociologie de Durkheim notamment : « Quand notre conscience parle, c’est la société qui nous parle ». Les commandements moraux sont imposés aux individus par la vie sociale de telle sorte qu’ils les assimilent, les intègrent jusqu’à avoir l’illusion de les trouver en soi. C’est cette origine sociale des impératifs moraux qui explique par ailleurs pourquoi ils peuvent varier d’un pays à l’autre et au sein d’une société.
S’il est vrai que la conscience de chacun est éveillée par l’éducation de ses parents, il faut bien reconnaître la dimension mystérieuse de notre conscience qu’elle soit du domaine de l’humain ou du divin. Force également est de constater dans la vie courante, que nous reconnaissions ou non le caractère divin de la conscience, que d’une part tout le monde admet son existence et que d’autre part nous sommes confrontés à choisir entre écouter sa conscience ou l’étouffer. Enfin nous avons le choix, soit de ne pas l’entretenir ou au contraire de la « cultiver », c’est-à-dire de la nourrir à la lumière de la culture philosophique ou religieuse, selon nos convictions qui nous permettent de rechercher la vérité. Pour répondre à ceux qui pensent que la conscience n’est conduite que par la société, pensez-vous sincèrement que ce ne sont que les lois de la république, néanmoins nécessaires à la vie en communauté, qui nous indiquent ce qui est bien ou ce qui est mal et qui nous montrent le chemin de la vérité ?
C’est ainsi que Jean-Paul II s’est adressé à ses évêques (1) et par là-même à nous tous en leur disant : « Aucun homme ne peut se dérober aux questions fondamentales : Que dois-je faire ? Comment discerner le bien du mal ? La réponse n’est possible que grâce à la splendeur de la vérité qui éclaire les profondeurs de l’esprit humain, comme l’atteste le psalmiste : « Beaucoup disent : » Qui nous fera voir le bonheur ? » Fais lever sur nous, Seigneur, la lumière de ta face » (Ps 4, 7).
… De ce fait, la réponse décisive à toute interrogation de l’homme, en particulier à ses interrogations morales et religieuses, est donnée par Jésus Christ ; bien plus, c’est Jésus Christ lui-même. »
(1)Lettre encyclique Véritas splendor, du 6 août 1993, à tous les évêques de l’église catholique sur quelques questions fondamentales de l’enseignement moral de l’Eglise