Regard sur la bioéthique
Le récent vote en première lecture du projet de la loi dite de bioéthique révèle cinq ruptures majeures avec ce qui a fait, durant plusieurs siècles, les fondements de notre société :
- rupture d’abord avec le temps biologique : désormais la conservation de ses propres gamètes (appelée autoconservation des gamètes) permettra de créer un nouvel être bien après la période de fécondité naturelle qui caractérise l’être humain ; ainsi, une femme pourra demander à mettre ses ovocytes en conservation , un homme effectuer la même demande à propos de ses spermatozoïdes, en vue de leur utilisation dix, vingt, trente ans plus tard ; on pourra donc donner naissance à un nouvel embryon, à un âge avancé (50 ans, 60 ans ou plus), avec des gamètes recueillis et conservés trente ans plus tôt. Il est à noter que l’utilisation après la mort de gamètes auto-conservés n’est pas autorisée ;
- rupture entre la sexualité et la procréation : la reproduction humaine pourra se passer de sexualité ; sachant que la sexualité, via la contraception, ne débouche plus nécessairement sur la procréation ;
- la barrière entre l’être humain et l’animal va être abattue puisque on sera autorisé à créer des embryons dits chimériques (mêlant des cellules animales et des cellules humaines), ceci à des fins de recherche ;
- l’eugénisme, c’est-à-dire la sélection des « meilleurs » embryons par la suppression avant naissance des êtres non conformes, mal formés, présentant des tares, sera encouragé grâce à l’extension du diagnostic prénatal (diagnostic effectué durant la grossesse, avant la naissance et pouvant déboucher sur un avortement s’il révèle des défauts) ;
- rupture de la filiation naturelle au profit de la filiation dite d’intention : la mère déclarée, le père déclaré à l’état civil d’un enfant pourra être non pas le père ou la mère biologique, mais le compagnon ou la compagne de celle ou de celui qui a eu l’enfant, ou tout autre individu qui en aura effectué la déclaration (ce qui signifie également que l’enfant pourra avoir pour parents non plus un homme et une femme, mais deux hommes, deux femmes).
La question que nous devons nous poser en tant que chrétiens est majeure : quel doit être notre regard (et notre action) sur cette révolution technique aux conséquences gigantesques ?
- s’agit-il de la part de l’Homme d’un désir, d’un rêve : celui de prendre en main tout son destin depuis sa conception jusqu’à sa mort ? L’Homme rêverait-il d’être son propre créateur, devenant la première créature autocréée puisque parvenant peu à peu à maîtriser totalement sa conception, son corps, sa mort. En ne laissant aucune place au hasard, y compris au hasard génétique (il éliminera les embryons non conformes au profit des meilleurs), en soumettant sa vie à sa seule volonté, il se donne les moyens de créer un « surhomme » surpassant l’être humain actuel, promis à un avenir radieux, à une vie paradisiaque, soumise à sa seule et totale maîtrise ;
- il pourrait aussi s’agir d’une aventure temporaire, d’une utopie passagère, comme notre histoire nous en a réservé plusieurs. Sous la pression de la réalité, elle finira par être oubliée petit à petit et être remplacée par des options de bon sens qui nous rendront en fin de compte plus respectueux des lois de la vie, plus respectueux de la loi naturelle. Si c’est le cas, prions pour que ces rêves ne nous conduisent pas à une catastrophe monstrueuse : les utopies du siècle dernier (marxisme, nazisme, communisme, …) ne se sont effacées qu’après un déluge de souffrances infligées à des dizaines de millions d’êtres humains, la plupart innocents ;
- pourrions-nous au contraire poser un regard favorable sur ce projet en le considérant comme simple travail visant à faire reculer nos limites naturelles et à abolir des contraintes, sources de souffrances : contraintes biologiques, contraintes liées au temps, contraintes issues de notre bagage génétique ? Cette loi ne serait-elle pas une réponse à une discrimination, à une souffrance, à savoir que des femmes seules ou vivant en couple homosexuel doivent pouvoir assouvir leur désir d’enfant ? Cette loi apporterait de nouveaux droits, sans en supprimer aucun à quiconque. En conséquence, on pourrait considérer favorablement ce progrès rendu possible grâce aux nouvelles techniques. Il appellerait à être christianisé, à être investi par une perspective conforme à l’Évangile. Après tout, n’oublions pas que le christianisme a repris à son compte certaines pratiques d’origine païenne en leur donnant une tournure évangélique (les rogations par exemple) ou a investi certains lieux sacrés du paganisme pour en faire des sanctuaires chrétiens (le Mont Saint-Michel).
Dans un prochain article je propose de discuter des trois éventualités.