Rencontre européenne de Taizé
Trois mille cinq cents jeunes en Estonie
La 47e rencontre européenne de Taizé a réuni en Estonie, du 28 décembre au 1ᵉʳ janvier, plus de trois mille cinq cents jeunes chrétiens de quarante-cinq nationalités différentes, autour du thème « Espérer au-delà de toute espérance » ; c’était à Tallinn, en Estonie, au bord de la mer baltique. Parmi eux, 1 200 Polonais, 450 Allemands, 250 Ukrainiens, 200 Croates et 150 Français qui ont rejoint la destination la plus septentrionale jamais choisie par la communauté.
Une destination ambitieuse
Le choix de cette destination ne manquait pas d’ambition. Pays frontalier de la Russie en guerre, l’Estonie est un état particulièrement sécularisé. « Cette rencontre rentrera dans l’histoire comme étant le plus grand rassemblement de chrétiens jamais organisé en Estonie », a souligné le président estonien Alar Karis, dans un mot de bienvenue. « En se faisant confiance les uns les autres et en travaillant ensemble, nous pouvons espérer que le visage de l’Europe du futur portera vos traits, pour devenir forte et unie ».
De plus, le choix de ce pays au bord de la mer Baltique, partageant près de trois cents kilomètres de frontières avec la Russie, pour y tenir son rendez-vous annuel, était loin d’être anodin pour les frères de Taizé. En Estonie, les mémoires sont encore profondément marquées par l’occupation soviétique du XXe siècle. La guerre en Ukraine, déclenchée par Vladimir Poutine en février 2022, a ravivé les tensions avec les communautés russophones qui composent 30 % de la population.
Majoritairement peuplée de luthériens et d’orthodoxes, l’Estonie est non seulement « l’une des destinations les plus au nord, mais c’est aussi le pays avec le moins de catholiques jamais choisi par la communauté », observe Mgr Philippe Jourdan, évêque de nationalité française, à la tête du diocèse de Tallinn. Les rencontres portent par conséquent une dimension œcuménique renforcée.
Réunis aux frontières de la Russie, dans une société divisée par la guerre en Ukraine très mobilisée dans l’accueil des réfugiés ukrainiens, les pèlerins sont venus prier et « espérer au-delà de toute espérance », explique le frère Matthew, à la tête de la communauté, dans une lettre. « Nous réunir dans un esprit de partage et de fraternité, c’est d’autant plus important dans le contexte d’aujourd’hui, alors que notre monde traverse de sérieuses épreuves », salue également le pape François, dans un message adressé samedi 28 décembre aux jeunes et aux frères de la communauté.
Le défi de l’accueil
Dans un pays où environ 70 % de la population se déclare agnostique, le logement des pèlerins, traditionnellement accueillis dans des familles, a constitué un véritable défi pour les Églises locales.
Soutenir de jeunes Russes qui veulent la paix
« Rassembler les jeunes malgré les crises géopolitiques a toujours été une priorité pour la communauté », explique frère Luc. Il rappelle les visites entreprises dans les années 1970-1980 par les frères et les jeunes d’Europe de l’Est pour construire des liens malgré le rideau de fer. « De la même manière, il faut maintenir le contact avec ces jeunes Russes et Biélorusses, ne serait-ce que pour préparer l’avenir ». Malheureusement, il n’a pas été possible d’obtenir un seul visa pour les jeunes Russes motivés par la rencontre. « Ils sont pourtant près de deux cents à Saint-Pétersbourg, à moins de 400 km de Tallinn, à vouloir la paix », insiste frère Luc.
Si aujourd’hui les soutenir publiquement est « inaudible », « nous ne pouvons pas les oublier » affirme frère Matthew. Alors, le 2 janvier, lorsque les jeunes étaient sur le chemin du retour, les frères, accompagnés de quelques volontaires, sont allés discrètement à Narva, la ville frontière du nord-est de l’Estonie. Là, « en même temps que nos frères chrétiens de l’autre côté de la frontière, nous avons prié pour la paix ».
L’archevêque de Paris s’est spécialement déplacé à Tallinn, en Estonie, pour participer à la rencontre européenne et ainsi être présent pour l’annonce officielle, faite par le prieur de Taizé, à l’issue de la veillée de prière du lundi 30 décembre : la prochaine rencontre européenne de Taizé aura lieu à Paris, du 28 décembre 2025 au 1er janvier 2026. Elle n’avait pas eu lieu dans cette ville depuis 2002. « Cela fait longtemps que je pense à inviter la communauté de Taizé », explique Mgr Ulrich, qui connaît bien la communauté implantée en Bourgogne. « Lorsque j’étais évêque de Chambéry, puis de Lille, j’ai toujours eu à cœur que les jeunes du diocèse vivent un séjour à Taizé, raconte-t-il. Taizé offre aux jeunes une expérience spirituelle forte, grâce à une atmosphère de prière propice à la découverte de la vie intérieure ». A cette expérience de prière, s’ajoute « une vie fraternelle » marquée par les rencontres internationales.
Une ouverture que Mgr Ulrich souhaite faire vivre à toute l’Île-de-France.
« Notre métropole dépasse la ville de Paris et il y a, dans toute la région francilienne, beaucoup d’enjeux d’ouverture au monde ». Accompagné à Tallinn par l’évêque auxiliaire de Meaux, Mgr Guillaume de Lisle, Mgr Ulrich insiste : « cette invitation provient des huit diocèses d’Île-de-France, ainsi que du Conseil des Églises chrétiennes en France, qui réunit les responsables des Églises catholique, protestantes et orthodoxes. « C’est important que toute notre jeunesse chrétienne se reconnaisse, et qu’elle se voit vivante et priante », explique Mgr Ulrich. « Ils seront aussi heureux d’entendre ce langage d’ouverture propre à Taizé, qui recoupe leurs préoccupations pour le monde ».
Dans une vidéo transmise à la communauté de Taizé, la maire de Paris, Anne Hidalgo, partage sa joie d’accueillir « ces journées de dialogue, de réflexion et de partage » qui rassemblent les jeunes autour « de valeurs d’ouverture et de fraternité. Des valeurs que Paris, ville d’accueil et ville refuge, porte également avec beaucoup de fierté ».
Eric Le Scanff