Salomon le sage
‘‘ Car la sagesse viendra dans ton cœur et la connaissance fera les délices de ton âme ’’ (Sagesse 2,10)
Quatre figures bibliques : le juste, le sage, le prophète et le saint retiennent notre attention pour mieux discerner les marques de l’évolution spirituelle. La Bible nous présente le roi Salomon, successeur de David, comme l’emblème du Sage. Mais le thème de la sagesse est aussi un fil rouge dans la pensée biblique et y devient prépondérant au cours des trois siècles précédant le Christ, lorsque la culture grecque domine le Moyen-Orient et que d’importantes communautés juives existent hors de Palestine.
Qu’est-ce qu’un sage ?
La figure du roi Salomon peut nous aider à répondre à cette question (1)
Le règne et la sagesse de Salomon s’inscrivent dans un contexte politique très particulier. Environ mille ans avant Jésus-Christ, des tribus et clans semi-nomades, qui formeront Israël, se reconnaissent une tradition commune, mais vivent de manière autonome. Dans l’affrontement avec d’autres clans nomades ou avec les cités-états du territoire entre Jourdain et Méditerranée, ils sont trop souvent perdants. Alors ils décident de se donner un roi capable de les fédérer et de les protéger. C’est ainsi qu’apparaissent Saül, puis David et Salomon. Les débuts sont modestes et surtout fait de batailles. Mais l’union devient effective sous Saül. David la conforte et conquiert Jérusalem, une petite cité d’un millier d’habitants. Il en fait sa capitale. Salomon noue des alliances avec ses voisins et apporte une période de paix et de prospérité très attendue des populations : cela lui vaut une réputation de sage qu’il conforte en mettant en place une administration par zones géographiques et des règles de fonctionnement et de justice : d’un ensemble de clans, une nation naît dans le cadre d’un état.
Les textes bibliques qui parlent de ces rois ont été rédigés trois siècles plus tard. Leurs rédacteurs ne cherchaient pas la précision historique. Ils voulaient montrer que leur jeune nation n’était en rien inférieure à ses voisines et de plus qu’elle détenait par sa fidélité aux commandements de Yahweh, son Dieu, une force particulière pour faire face aux empires prédateurs qui l’entouraient et aux tensions, toujours présentes, du clanisme.
Dans l’Orient ancien, la sagesse était largement l’affaire de confréries d’initiés, particulièrement celles des temples antiques d’Egypte, de Mésopotamie ou de Grèce. Des personnages, tel Pythagore, passèrent plusieurs dizaines d’années de leur vie à acquérir dans ces temples, œuvrant comme écoles de vie (on disait aussi écoles de mystères), le savoir le plus avancé de leur époque, mélange d’observations, de réflexions, de traditions, de pratiques à caractère technique ou psychique. A la fois lettrés, disposant d’une grande maîtrise d’eux-mêmes, motivés pour de hautes réalisations, religieuses ou politiques, ils en imposaient à leurs contemporains.
Il n’est donc pas étonnant que les rédacteurs de la vie de Salomon aient voulu faire référence à la sagesse égyptienne. La première femme de Salomon (par le rang) est fille de Pharaon, ce qui laisse supposer des contacts étroits avec le souverain égyptien et la culture du grand pays voisin. De même Salomon est visité par la reine de Saba venue, des lointaines contrées du sud de la Mer Rouge, tester par des énigmes la sagesse réputée du roi d’Israël. Tout ceci n’est sans doute que légendes mais indique l’importance, pour les rédacteurs, de se référer aux critères de sagesse connus de leur époque.
La sagesse, donc, se reconnaît au savoir, à l’agilité intellectuelle, mais aussi à la maîtrise de soi et à la capacité à faire face aux défis de la vie, en l’occurrence pour Salomon, aux défis d’une nation et d’une royauté naissantes. Mais la sagesse n’est-elle qu’une belle qualité humaine ? Au moment de devenir roi, Salomon fait un songe dans lequel Yahweh lui dit : « … parce que tu n’as pas demandé pour toi de longs jours, ni la richesse, ni la vie de tes ennemis, … mais le discernement du jugement, … je te donne un cœur sage et intelligent… et même ce que tu n’as pas demandé, je te le donne aussi… » (1 Rois 2, 11-12).
Le ‘‘ cœur ’’ est l’expression biblique pour ce qui, en l’homme, est au plus intime de la conscience. Nous dirions aujourd’hui ses facultés intuitives, celles qui permettent de dépasser les limitations ordinaires du mental. Tout en reconnaissant que la sagesse est au départ une parole d’homme, la Bible enseigne que la véritable sagesse est en Dieu et s’obtient par l’harmonisation avec le divin présent en nous, la reconnaissance de son action de chaque instant.
Nous en retenons que, pour devenir authentique, la sagesse doit accepter l’homme dans sa double dimension : corps et esprit, résident sur terre et promis aux cieux, limité et infini. Alors ce qui est seulement savoir et maîtrise peut devenir Connaissance des mystères de l’homme dans sa relation à Dieu, ce qui fera, comme le dit le livre de la Sagesse, les délices de son âme.
1 – La vie de Salomon apparaît dans les onze premiers chapitres du Livre des Rois. Dans la Bible, les livres suivants sont attribués à Salomon : le livre des Proverbes, le Cantique des cantiques, l’Ecclésiaste (Qohélet), les Psaumes de Salonon et parfois l’Ecclésiastique (le Siracide). Ces attributions sont largement pseudépigraphiques (ouvrages mis sous le nom et l’autorité d’un autre).