SOPHIE TROUVÉ, professeur de danse Modern’Jazz
Les Hardricourtois connaissent bien Sophie, qui enseigne au LAC (association Loisirs Animation Culture) à Hardricourt. Ses élèves ont par ailleurs souvent été invités à des spectacles de la compagnie de danse inclusive TATOO. Notre journal a voulu en savoir plus sur ce qui fait danser Sophie …
Bonjour Sophie,
Vous êtes professeur de danse modern-jazz au LAC depuis près de vingt ans. C’est une génération d’Hardricourtois qui a dansé avec vous ! Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis originaire de Bourges où j’ai reçu une éducation artistique et musicale. J’ai ensuite été formée à Paris à l’Institut de Formation Professionnelle Rick Odums (IFPRO). Je suis titulaire du diplôme d’état de professeur de danse jazz, un des trois diplômes d’état de danse, avec la danse classique et la danse contemporaine. J’ai également un parcours de musicienne puisque j’ai appris le solfège et le piano. J’ai aussi fait du théâtre contemporain pendant deux ans et j’ai eu la chance d’avoir comme metteur en scène Mathilde Kott, proche du mime Marceau. J’enseigne au LAC et à l’association TAMARIS à Verneuil/Seine. Par ailleurs, je suis également professeur de gymnastique douce adaptée de la méthode Feldenkrais ® dans ces deux associations. C’est vrai que j’ai enseigné la danse à beaucoup d’Hardricourtois, certains même commençant à 4 ans et poursuivant jusqu’à l’âge adulte ! J’ai même eu la surprise cette année de voir les filles de deux de mes premières élèves s’inscrire à mon cours !
Vous vous présentez également comme danseuse. Dans quelle compagnie dansez-vous ?
Pendant ma formation, j’ai eu comme professeur la chorégraphe Florence Meregalli qui a créé la compagnie TATOO qui est une compagnie de danse contemporaine inclusive et je suis danseuse dans cette compagnie implantée à Lognes (77) depuis 1994 ; nous répétons tous les mardis et jeudis.
« Danse inclusive » ? Nos lecteurs ne connaissent peut-être pas ce terme, pouvez-vous nous l’expliquer ?
La danse inclusive mêle dans les mêmes chorégraphies, aveugles, sourds ou polyhandicapés et danseurs valides. Dans la compagnie TATOO, nous avons des danseurs valides, une danseuse paraplégique, Gladys Foggea et une danseuse sourde, Delphine Soyer.
Du point de vue d’un béotien, cela paraît difficile de faire des créations chorégraphiques avec un fauteuil roulant et une personne qui n’entend pas, comment est-ce possible ?
Le handicap ne limite pas ; quelle que soit notre condition physique, on peut danser. La preuve, c’est qu’il est maintenant reconnu que pour certaines maladies, comme la maladie de Parkinson, la danse aide à dépasser les limites imposées par la maladie. Du point de la vue de la création artistique, la danse inclusive demande et permet une écoute plus attentive à l’autre et à ses différences. Danser avec Delphine et Gladys nous pousse à changer notre regard sur le handicap. Cela ouvre des portes vers d’autres directions chorégraphiques. Il est impossible de se reposer sur les mouvements évidents, il faut pousser la créativité.
D’autres directions chorégraphiques ? Vous pouvez donner des exemples ?
Par exemple, Gladys danse en fauteuil et au sol ; nous dansons aussi en fauteuil avec elle et au sol, nous « oublions » nos jambes. Autre exemple, en général, la musique nous guide mais avec Delphine, nous avons développé d’autres repères : notre vision périphérique, une sensibilité plus aiguë de nos déplacements. Elle nous enseigne les bases de la langue des signes qui fait partie intégrante de notre gestuelle dansée. Nous avons beaucoup développé le contact et le toucher, ainsi que l’ouïe et l’écoute pour des chorégraphies en aveugle : avoir un sens en moins amène à développer davantage les autres ! Nous détournons aussi le fauteuil roulant et l’utilisons comme un accessoire. Nous jouons également beaucoup sur l’humour, le quotidien des handicapés. Tous ces éléments contribuent à ce que toute la compagnie, handicapés et valides, se dépassent.
Mais vous arrivez à monter des spectacles ?
Bien sûr, il y a quelques années, nous avions présenté notre création au théâtre de Poissy. C’est là où j’avais invité mes élèves Hardricourtois. Nous sommes aussi passés à La Nacelle à Aubergenville. Et, en 2012, nous avons monté une création en utilisant les béquilles comme éléments de cette création : « le poids des anges ».
Et comment réagit le public ?
La joie et la force de nos spectacles sont communicatives et dans nos ateliers chorégraphiques handicapés/valides, ce ne sont plus des handicapés que le public voit sur scène, mais des danseurs, il n’y a plus de différence ! C’est souvent un grand moment d’émotion et nous remportons un beau succès !
Quels autres moyens utilisez-vous pour faire connaître la danse inclusive ?
Nous participons à des rencontres comme celles du printemps de la danse inclusive à l’Ecole Normale Supérieure en mai dernier et nous organisons le festival « HORS CHAMPS » dont l’objectif est de promouvoir la danse inclusive, de donner l’opportunité à de jeunes compagnies, des amateurs et des artistes handicapés ou non (peintres, sculpteurs, auteurs interprètes…), de présenter leur travail au sein d’un univers chorégraphique varié. C’est l’occasion de sensibiliser le public et de faire se rencontrer les personnes valides et handicapées. On se rend d’ailleurs compte combien la France est en retard par rapport aux pays anglo-saxons, à la Suisse… Nous proposons aussi des ateliers qui réunissent danseurs valides et handicapés ; nous intervenons dans les écoles primaires, les collèges, lycées et universités.
Est-ce que cette expérience de danse inclusive a eu une influence sur votre façon d’enseigner la danse au cours des années ?
De plus en plus, j’essaie d’amener chaque danseur à exprimer sa sensibilité propre, ce qui est vraiment authentique. Ce qui est juste à l’intérieur se transmet au public. C’est en cela aussi que j’ai suivi une formation pour enseigner également la gymnastique selon la méthode Feldenkrais®.
En quoi consiste la méthode Feldenkrais ®?
Cette méthode permet de découvrir une nouvelle façon de bouger en étant plus attentif à son corps. Elle est basée sur une connaissance approfondie des liens entre système nerveux et mouvements. L’enseignant amène l’élève à porter son attention sur le détail des gestes qu’il exécute et les sensations perçues dans son corps afin d’améliorer sa gestuelle, sa mobilité et l’image qu’il a de lui-même : des mouvements plus efficaces, avec moins d’effort et plus d’élégance. Cela permet aussi de réduire les tensions accumulées au quotidien et d’améliorer sa posture et son bien-être.
Du coup, comment enseignez-vous la danse maintenant ?
J’associe des techniques de la danse jazz, les influences contemporaines, les bases classiques à une approche du corps en conscience (respiration, relaxation, technique douce) à du travail en atelier (travail d’improvisation, expression libre, ateliers chorégraphiques, travail en duo, travail au sol…). Je suis également influencée par ma formation de musicienne et par mon expérience du théâtre qui m’a permis de faire tout un travail sur la respiration, la posture, le timbre de voix. Quand j’enseigne aujourd’hui, je suis maintenant loin de la rigueur académique des corps de ballets ! J’utilise aussi des musiques d’univers différents : contemporaines, musiques du monde, bandes originales de films, standards des radios du moment… tout cela dans le respect du corps pour apporter plus de créativité dans la gestuelle et changer de style pour les ballets.
La danse est-elle pour vous un sport, un art ?
La danse est un art même si les danseurs professionnels s’entraînent comme des sportifs de haut niveau. Enseigner la danse, c’est aussi un moyen pour moi de faire partager mes passions, une sorte de « devoir de culture ».
Avez-vous des projets ?
Avec la compagnie TATOO et riches de l’expérience de danse inclusive que nous avons désormais, nous avons monté une formation professionnelle « Tatoo Inclusive » qui apporte par la diversité des ses intervenants et leurs nombreuses années d’expérience, des approches différentes tant médicales qu’artistiques et pédagogiques, dans l’encadrement d’un atelier chorégraphique mixte valides et handicapés. Nous avons également monté, avec Delphine, des stages « danse et langue des signes ». Suite à l’information que nous avons diffusée sur ces stages, j’ai été contactée par « HANDISPORT 78 » pour animer deux stages de danse « en aveugle » sur Poissy et Guyancourt avec des groupes de 8/10 jeunes adolescents.
Quelques mots de conclusion ?
Je suis contente de travailler au LAC, à Hardricourt, où je sens un vrai élan positif en faveur de l’ouverture, en particulier au monde du handicap, comme le montre la nouvelle section de Handibasket.
Merci beaucoup, Sophie, pour cet entretien, si riche, et qui montre la cohérence de votre vie et le dynamisme que vous déployez pour y arriver. Nous espérons que nos lecteurs seront touchés par votre approche « en conscience » de la danse et par l’ouverture qu’apporte à tous la pratique de la danse inclusive.
Propos recueillis par Véronique Schweblin
A voir le site Internet de la compagnie TATOO