Une vie en chantant
Vous connaissez « En chantant… », refrain que vous avez sûrement fredonné et dans lequel Michel Sardou revisite quelques grands moments de sa vie…en chansons ? Eh bien, quand on y pense, et je vous invite à le faire, on a tous et pour toujours dans la tête, des airs, des ritournelles, quelques mélodies qui nous rappellent les grands moments de notre existence ; ils sont reliés à des étapes, heureuses ou malheureuses qui ont marqué notre vie.
Ainsi je me rappelle, ou du moins on m’a raconté car j’étais bien petit, que mes grandes sœurs, elles étaient quatre et plus âgées que moi, se relayaient pour me chanter de douces mélodies pour m’endormir. C’est peut-être de là que vient ma grande passion pour cet art si simple, en tous les cas a priori, qu’est la chanson.
J’ai grandi, je suis allé au patronage, puis en « colo » ; là encore tous les moments de la journée, réveil, repas, marches, veillées, tous étaient rythmés par des chansons, dynamiques et enlevées pour le matin, histoire de se mettre en forme, remerciant pour la nourriture avant de se mettre à table, donnant la cadence pour les balades et les marches dans la nature et plus calmes pour les soirées. A cette époque, nous avions à la maison un électrophone et j’ai eu la chance, très jeune, de découvrir les premières chansons de Georges Brassens (attention pas n’importe quelles chansons, certaines étaient censurées, nous avions d’ailleurs un disque 33 tours « Brassens pour toutes les oreilles »…) ou de Jacques Brel, que mes frères et sœurs aimaient particulièrement ; quelle chance ! Peut-on envisager meilleure initiation à la chanson ? Il y avait aussi des chanteurs un peu plus légers, que l’on disait « de variétés », je me souviens de Dalida qui chantait « Bambino », « Gondolier », « Le jour où la pluie viendra », de Patachou qui cherchait « La bague à Jules » ou qui criait haut et fort la chance d’avoir « Un mari bricoleur » ou encore des Compagnons de la chanson qui lançaient « Si tu vas à Rio », …
La période scoute…
Un des moments forts de ma vie en chansons a sans aucun doute été mes années passées chez les Scouts. Là encore, le camp résonnait toute la journée des chants entonnés avec entrain par tous les participants. Dès le matin, nous avions « la pêche » et quel que soit le temps, pluie, soleil, vent, froidure, nous chantions à tue-tête le bonheur d’être ensemble ; c’est vraiment un très bon souvenir. De même quand nous marchions, « Un km à pied, ça use, ça use… » ou encore « Ma poule n’a plus qu’un seul poulet » nous donnaient le rythme et nous aidaient à supporter les (petites) douleurs dans les grosses chaussures. Le soir, au cours des veillées, tous rassemblés autour du feu qui crépitait, nos chants montaient dans la nuit noire : « Les gars ont mis la flamme … » ou « Vieux pèlerin », chansons douces et plus enlevées alternaient, nous amenant tranquillement vers le moment de rejoindre la tente et de nous glisser dans le duvet.
A la même époque, celle de l’adolescence, j’ai eu la chance de vivre une période assez riche en variétés, celle que l’on a appelé l’époque « Yé-yé ». Si les paroles n’étaient pas de très haut niveau, dans la plupart des cas il s’agissait de traductions de succès américains ou britanniques, elles traduisaient assez naïvement les soucis que le jeune adolescent que j’étais pouvait se poser. Johnny Hallyday « l’Idole des jeunes », Eddy Mitchell, le chanteur des Chaussettes noires, la belle Sylvie Vartan, sont des figures emblématiques de ces années qui ont vu apparaître, puis disparaître aussi rapidement qu’elles étaient apparues, de nombreuses vedettes. Un chanteur va particulièrement me marquer durant ces années 60, c’est Hugues Aufray. Une de ses chansons « Santiano », est maintenant pratiquement inscrite au patrimoine de la chanson française, mais il en a écrit et chanté tellement d’autres au moins aussi belles qui sont dans beaucoup de mémoires : « Céline », « Monsieur le professeur », « Stewball », « Le petit âne gris », … En traduisant les chansons du troubadour américain Bob Dylan, il a aussi largement participé à l’évolution des textes ; il a su les adapter à l’époque dans laquelle nous vivons en prônant de vraies valeurs telles que l’antiracisme, l’amour, le partage, la douceur…Un grand monsieur qui, à 93 ans ( !), donne encore des concerts. J’ai eu le bonheur de le voir sur scène il n’y a pas très longtemps, son énergie est intacte et son plaisir de partager un spectacle est encore évident, chapeau !
Le service militaire…
Vint ensuite un moment que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître…le service militaire ! Eh oui tous les garçons de ma génération ont passé quatorze, quinze voire seize mois « sous les drapeaux » et là encore chaque moment, depuis le lever des couleurs le matin jusqu’aux exercices commandés par l’adjudant, était accompagné de chansons, le plus souvent assez rythmées et louant les prouesses de nos aînés. Passons rapidement sur ces années qui laissent tout de même quelques bons souvenirs.
Au retour de cette (trop ?) longue période, j’ai retrouvé mes amis scouts et nous avons souvent partagé des soirées ou des repas qui finissaient toujours en chansons. C’était la plupart du temps celles entonnées au cours de notre jeunesse : « Fleur d’épine » « Les crapauds », « Je cherche fortune », « Souvenirs qui passent », … Nous étions alors capables, sans carnet de chant, d’animer une fin de banquet pendant plusieurs heures en mêlant, il faut bien le dire, certains chants un peu osés…
Pendant les années 70 et 80, période d’abord beatnik puis disco, les succès se sont enchaînés, accompagnant les soirées dansantes entre copains et amis.
Mais il n’y avait pas que des chansons pour danser, c’est à cette époque que j’ai découvert celui que j’avais vu en première partie d’un concert de Georges Brassens, Maxime Leforestier, un chanteur très apprécié des jeunes et un des premiers écologistes ; il y avait aussi Michel Jonasz, Julien Clerc, Alain Souchon. C’est le début d’une génération qui a renouvelé la chanson à texte après quelques années de vache maigre ; celui-ci retrouve une qualité qu’il avait un peu perdue. Ah ! aussi, après que ma grande sœur m’ait offert un de ses enregistrements, j’ai eu la grande joie d’assister à Bobino à un récital de Julos Beaucarne. Poète belge peu connu du grand public, décédé il y a peu de temps, il a écrit de nombreuses complaintes très poétiques ; il est resté très longtemps dans l’anonymat, quelle injustice !
Les chanteurs bretonnants…
Les années 70 ont aussi vu la renaissance de la chanson bretonne et comme beaucoup de ces bretons éloignés de leurs terres, je me suis rapidement senti proche de ce jeune barde qu’était alors Alan Stivell. Sa chanson « Tri martolod », son allure de druide moderne et ses talents de harpiste m’ont séduit et ont ouvert la porte à d’autres que par la suite je suis allé applaudir : les Tri Yann, Gilles Servat, Dan ar Braz, bref, tous ceux qui ont popularisé le folklore de cette belle région de France si chère à mon cœur.
Venu le temps de la sagesse ( ?) et les années passant, même si je reste fidèle aux « Grands », j’ai eu le bonheur de découvrir de nouveaux jeunes talents : Dominique A, Philippe Katerine, Sanseverino, Arthur H, Vincent Delerm, Thomas Fersen, Jeanne Cheral et tant d’autres. Ils ont en commun une grande richesse de textes et une certaine originalité qui ouvre de nouveaux horizons.
Plus récemment, est arrivé le temps du rap. Bien sûr pour les gens de ma génération, le rythme saccadé et le vocabulaire plus moderne de ces chansons sont a priori plus difficiles à apprécier. Toutefois, j’ai du plaisir à écouter des chanteurs comme Eddy de Pretto, Stromaë, MC Solaar ou la jeune belge Angèle. Ils apportent à la chanson francophone un souffle nouveau et beaucoup de fraîcheur.
Voilà une vie en chansons… Elle n’est pas finie, qui sait ce que demain apportera comme nouvelles mélodies ?
Et vous alors, quelle serait votre vie en chansons ?
Jannick Denouël