Vaux de Jouste (Vaux-sur-Seine depuis 1902) – Ses quatre Saints
Cette commune qui jouxte la Saicauna(1), la Seine, semble s’être mariée avec elle. Entremêlée lascivement avec le marais, aujourd’hui quasiment disparu, ils étaient, il y a quelques temps encore, « stimulés » par les crues annuelles qui fertilisaient la plaine alluviale. Charmeuse appelée au début du XXe siècle « la petite Venise » grâce à son île, la plus grande et la plus élevée de toutes celles de la Seine, Vaux faisait jadis partie intégrante d’un des principaux domaines seigneuriaux du Vexin français.
Ce village étire sa longue bande de terre à l’aspect reptilien, contrainte par les hauts vals et les hautes îles (le massif de l’Hautil) à coloniser ses bas vats(2), sa plaine plus propice à la construction. Tout le long de cette délicate étreinte, « le serpent engourdi de Nicaise », a essaimé au fil du temps quatre châteaux et pour dorer son long passé chrétien, selon les troubles et épidémies, quatre saints.
Saint Nicaise
Bien que le saint patron de Vaux soit saint Pierre, saint Nicaise est le plus emblématique saint de cette cité. En effet, dès le IIIe siècle, n’écoutant que son courage, il bouta hors d’une source sacrée un monstre mi-dragon, mi-serpent à l’haleine pestilentielle qui effrayait ces valeureux Gaulois. Puis la source redevenue pure, trois cent dix-huit païens se convertirent. Le pauvre n’en tira pas beaucoup de bénéfices car il perdra sa tête un peu plus tard. Il deviendra alors par là-même, lors d’un autre miracle à Saint-Clair-sur-Epte, l’un des premiers saints céphalophores(3). Jusqu’à la révolution, cette source bénite protégée par une ancienne chapelle aujourd’hui disparue, a, paraît-il, gardé des vertus curatives ; elle coule toujours au lavoir Saint-Nicaise (cf photo en entête)
Sainte Barbe (voir vitrail de l’église de Vaux)
Tradition encore vivace sur le territoire de la commune jusqu’en 1979, date de la fermeture des carrières de gypse, sainte Barbe ou Barbara est la sainte patronne des mineurs, des pompiers, des artificiers et des carriers. Une statue de Barbara était bénite, puis descendue dans la galerie pour octroyer sa protection aux mineurs et surtout pour se protéger de la « male mort » c’est-à-dire mourir sans avoir reçu les derniers sacrements ce qui interdisait aux fidèles d’être enterrés en tant que chrétiens.
La légende raconte que sainte Barbara serait née au IIIe siècle en Asie Mineure. C’était une très jolie jeune fille qui vivait recluse dans une tour, selon la volonté de son père, pour la protéger de ses soupirants. Parti en voyage, ce dernier découvrit qu’elle s’était convertie au christianisme. Fou de rage, il tenta de l’immoler. Elle prit la fuite. Son père la retrouva et au terme d’affreux supplices, lui fit couper la tête. Reconnaissable à sa tour et à un ciboire surmonté d’une hostie, on évoque sainte Barbe notamment contre la mort subite.
Saint Roch, le pestiféré au bubon(4) sur la cuisse et son chien fidèle
Il naquit à Montpellier en pleine guerre de Cent Ans, pendant la grande période de la peste noire qui dura deux ans et décima un tiers de la population de l’Europe. Vaux et sa région ne furent pas épargnées. C’est l’époque des grandes famines et des massacres perpétués par les grandes compagnies. Etudiant en médecine, il est orphelin à 17 ans. Riche et instruit, il distribua tous ses biens aux pauvres. Il mit en pratique l’enseignement médical en l’associant à des signes de croix et obtint rapidement de nombreuses guérisons. Atteint lui-même par la peste, Roch se rendit péniblement jusqu’à un bois, pensant y mourir. Mais à cet endroit, une source jaillit et un chien vint alors lui apporter chaque jour un pain. Il recouvra la santé et retourna aussitôt auprès des pestiférés. Le nom de saint Roch pourrait être un doublet hagiographique(5) d’un saint plus ancien saint Roch d’Autun, religieux catholique d’origine franque, qui décéda en 660.
Lors de la pandémie du coronavirus en 2020, de nombreuses prières en l’honneur du saint ont circulé sur les réseaux sociaux afin de lui demander la fin. Il est régulièrement évoqué lors des épidémies (peste, choléra, grippe espagnole et maintenant le Covid) mais aussi contre la silicose des tailleurs de pierres et des carriers (Roch = roc). Il était donc doublement important à Vaux pour protéger des épidémies et les maladies liées au gypse et aussi peut-être parce qu’il avait été soigné par une source miraculeuse comme celle de la fontaine Saint-Nicaise.
Sainte Rita
Margueritte Lotti, sainte Rita de Cascia, est née dans un petit village en Italie en 1381. Très jeune, elle veut se consacrer à Dieu contrairement au projet de ses parents. Elle se laisse marier à un homme violent dont elle a deux fils. Elle est une épouse et une mère fidèle et aimante. Mais les querelles de clans sont féroces dans l’Italie du XVe siècle et son mari est assassiné après dix-huit ans de mariage pendant lesquels la douceur de Rita a peu à peu converti à la paix le mari brutal. Quelques années après, ses deux fils sont emportés par la peste. Demeurée seule, Rita va s’employer à réconcilier les clans ennemis pardonnant aussi aux assassins de son mari.
C’est la plus actuelle des saintes. Patronne des femmes mal mariées, des causes désespérées, Rita est une féminine avant l’heure mais n’aime pas attirer l’attention ; elle sait que son côté ingénu suffit pour séduire son entourage. Elle n’est toutefois canonisée (6) que seulement en 1900 et n’apparaît en France qu’à l’arrivée après la guerre des Italiens qui lui vouent une certaine dévotion. En 1955, le père Cagliari fonda la revue Sainte-Rita qui, par sa grande diffusion (quarante mille exemplaires), contribua aussi à la faire connaître. En 1960 à Vaux, un prêtre décida de donner son nom à la chapelle du centre paroissial.
Avec saint Nicaise, saint Roch, sainte Barbe et sainte Rita, la parité est respectée ; le masculin et le féminin sacré trouvent en ces lieux un parfait équilibre.
Daniel Weuge
(1) La Saicauna : la Seine tire son nom du latin Sequana, transcription faite par César du mot gaulois Saicauna ; elle-même tire son nom de sa région d’origine la Séquanie, la Franche-Comté, berceau de sa source à Langres.
(2) Bas vats : terme gaulois désignant adoucis.
(3) Céphalophore : saint à la tête coupée.
(4) Bubon : inflammation et gonflement des ganglions lymphatiques dans certaines maladies (syphilis, peste, etc.).
(5) Hagiographie : science qui concerne la vie des saints.
(6) Canoniser : admettre après procès canonique une personne défunte au catalogue des saints, pour qu’elle soit l’objet d’un culte officiel.
